Les jeux sont faits

Sauf surprise de dernière minute lors des auditions des deux seuls candidats, le conseil d’administration de l’institution devrait retenir le nom de Dominique Strauss-Kahn pour succéder à Rodrigo Rato au poste de directeur général.

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Le chancelier de l’Échiquier britannique, Alistair Darling, a « mangé son chapeau », le 5 septembre, et apporté son soutien au Français Dominique Strauss-Kahn, candidat de l’Union européenne (UE) à la direction générale du Fonds monétaire international (FMI). Darling avait pris une distance certaine par rapport à cette candidature en déclarant, le 9 juillet : « Les gens veulent voir un processus [de désignation du directeur du FMI] beaucoup plus ouvert et transparent que par le passé. » Le voici contraint de déclarer que Strauss-Kahn « est le candidat qui remplit le mieux les critères requis pour ce poste », car « il a une large expérience en matière de finance internationale ».

Le Royaume-Uni est à nouveau solidaire du reste de l’UE. Le silence le plus total entourant le « champion » présenté par les Russes, le Tchèque Josef Tosovsky, on voit mal ce qui pourrait empêcher Strauss-Kahn d’être élu en remplacement de Rodrigo Rato, démissionnaire. L’ancien ministre socialiste des Finances de Lionel Jospin a mené, à ce jour, une campagne électorale irréprochable. Sollicité par Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois, et adoubé par Nicolas Sarkozy, le président français, il est devenu, le 10 juillet, le candidat des Vingt-Sept. À partir du 24 juillet, il a entrepris, accompagné de hauts fonctionnaires français, une tournée des capitales dont les voix comptent. Paris a financé tous ses déplacements, les deux agences de communication américaines dont il s’est attaché les services étant à sa charge.
À Washington, il a rendu visite à Henry Paulson, secrétaire au Trésor, et à Ben Bernanke, patron de la Réserve fédérale, mais aussi à Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, avec lequel il est tombé d’accord pour visiter ensemble – s’il est élu – les pays ayant besoin d’un appui vigoureux. Aux ministres africains réunis à Maputo (Mozambique), aux présidents sud-africain Thabo Mbeki et brésilien Lula, aux Premiers ministres chinois et indien, il a dit qu’il est un partisan du multilatéralisme, seul capable de réguler la mondialisation à l’uvre.
En Corée du Sud et en Bolivie, il a promis qu’il s’attellerait à la réforme du Fonds, qui ne donne pas aux pays pauvres et émergents la place qui leur revient compte tenu de leur poids économique croissant. Au Mexique et en Russie, il a déclaré que les bénéficiaires des crédits du FMI doivent avoir voix au chapitre, afin qu’on ne leur applique plus mécaniquement des thérapeutiques susceptibles de provoquer de graves dégâts sociaux. Partout, il a reconnu que la règle tacite qui réserve, depuis 1945, la direction du Fonds aux Européens et la présidence de la Banque mondiale aux Américains devait évoluer.
Se présentant en « candidat de la réforme », il s’est même payé le luxe de dire qu’il souhaitait avoir un adversaire, comme naguère les directeurs du Fonds Jacques de la Rosière et Michel Camdessus. Il a été exaucé, au-delà de ses espérances, par les Russes et par le Financial Times. Le 21 août, le ministre russe des Finances, Alexis Koudrine, a déclaré que son pays soutenait « le principe d’une véritable élection » au FMI et présentait la candidature de Josef Tosovsky, actuel directeur de l’Institut pour la stabilité financière de la Banque des règlements internationaux (BRI), qui s’est dit très flatté.
Jusque-là rien que de très normal, mais le représentant russe au FMI a attaqué Strauss-Kahn en le présentant, dans le Financial Times, comme un « politicien professionnel » peu compétent. Le quotidien britannique en a encore rajouté, le 28 août, en applaudissant la position russe (voir J.A. n° 2434) dans un éditorial à charge qui affirme que le Français « n’est pas le bon candidat et n’a pas été désigné de la bonne manière ».

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À propos de cette « bonne manière », tout le monde s’accorde à dire que les monopoles européen et américain sur la direction du Fonds et la présidence de la Banque mondiale ont fait leur temps. Mais après l’humiliation de George W. Bush, forcé d’accepter le départ de son ami Paul Wolfowitz de la présidence de la Banque, il était difficile de lui refuser de nommer un de ses proches, Robert Zoellick. Du coup, les Européens n’ont pas voulu céder leur privilège, ce qui retarde de cinq ans la sélection des responsables des deux institutions sur la base de la seule compétence et sans considération d’origine géographique.
La menace russe était réelle, même si les états de service économiques et financiers de Tosovsky ne peuvent rivaliser avec ceux de Strauss-Kahn. Ancien membre du Parti communiste tchèque, le premier a fait l’essentiel de sa carrière au sein de la Banque centrale de son pays, dont il a été le gouverneur de 1993 à 1997 et de 1998 à 2000. Il a été Premier ministre intérimaire durant six mois (1997-1998). Le fait qu’il ait été présenté par les Russes, alors que son propre pays soutient Strauss-Kahn, donne quelque crédit à l’information publiée en février 2007 par le quotidien tchèque Dnes, selon lequel il aurait été un collaborateur de la police secrète communiste. Des accusations rejetées par Tosovsky, qui ne fait aucune campagne, refuse toute interview et dont on ignore le programme pour le FMI.
Dominique Strauss-Kahn est loin d’être le simple « politicien » décrit par les Russes et le Financial Times. Docteur et agrégé en sciences économiques, il fut tour à tour chercheur (au CNRS), professeur (à Paris-X-Nanterre, Sciences-Po), député, maire, ministre de l’Industrie, puis de l’Économie et des Finances et, à ce titre, a été l’un des artisans de la mise en place de l’euro. Candidat malheureux contre Ségolène Royal à l’investiture socialiste pour la présidentielle de 2007, il est partisan d’une mondialisation régulée.
La contre-attaque face aux tirs croisés russo-britanniques s’est déroulée en deux temps. En tant que président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker a pris la défense de son poulain dans le Financial Times Deutschland du 29 août, critiquant implicitement le double jeu britannique. On peut imaginer que la reculade précipitée du chancelier de l’Échiquier est le fruit d’un coup de fil irrité de Nicolas Sarkozy au Premier ministre britannique Gordon Brown. D’autre part, Strauss-Kahn a « gauchisé » son discours lors de ses étapes ultimes en Amérique latine. Au président argentin Kirchner, qui dénonçait les dégâts sociaux – « 15 millions de pauvres », selon lui – des thérapeutiques du FMI, il a dit que ces interventions avaient été « catastrophiques ». Dans le Wall Street Journal du 6 septembre, il a proposé une réforme des droits de vote et l’obligation d’une double majorité de quotes-parts et de pays pour certaines « décisions cruciales ».
Mutisme de l’homme des Russes contre flair politique du candidat des Européens, ajoutés à l’arithmétique électorale qui donne une majorité écrasante au camp réunissant Américains, Japonais, Canadiens, Européens, avec le renfort d’une majorité d’Africains et de Latino-Américains. Les jeux semblent donc faits et, sauf surprise de dernière minute lors des auditions des deux candidats, le conseil d’administration du FMI devrait retenir le nom de Dominique Strauss-Kahn avant la fin du mois de septembre.

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