Les dessous d’un miracle

Les secrets de l’insolente réussite de Bangalore ? Cadeaux fiscaux aux entreprises étrangères, formation haut de gamme et bas salaires.

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Longtemps, Bombay, Calcutta ou Delhi ont été les villes indiennes les plus connues à l’étranger. Aujourd’hui, l’émergence de Bangalore, dans le sud du pays, est en passe de changer la donne. Forte de ses succès dans les technologies de l’avenir, la capitale de l’État du Karnataka (7 millions d’habitants) s’impose peu à peu comme l’emblème de l’Inde du XXIe siècle. Elle fait aujourd’hui fantasmer tous les pays émergents, qui, à son exemple, rêvent de bénéficier du boom des nouvelles technologies. Et de recevoir leur part des investissements qu’il suscite.
Doté d’écoles d’ingénieurs et ?d’établissements d’enseignement scientifique de renom (notamment l’Indian Institute of Science, créé ?au début du siècle dernier, et le Raman Research Institute, que fonda C.V. Raman, le Prix Nobel de physique 1930), Bangalore s’est tourné dès l’indépendance du pays, en 1947, vers les industries de pointe, se spécialisant, entre autres, dans l’aéronautique, l’électronique, les industries d’armement et les télécoms. Sa vocation informatique est sans doute née des besoins de l’aéronautique en savoir-faire électronique. Quoi qu’il en soit, le secteur va connaître à partir du milieu des années 1980, un essor fulgurant.

Au commencement étaient les centres d’appels
Flairant le bon plan, les entreprises étrangères ne tardent pas à débarquer. Attirée par la tradition technologique de la ville et son vivier d’ingénieurs hautement qualifiés, anglophones et peu coûteux (trois à quatre fois moins qu’aux États-Unis et en Europe), Texas Instruments est la première à y établir un centre de conception et de développement de services informatiques.
Très vite, les poids lourds de l’informatique mondiale – d’IBM à Digital, en passant par Hewlett Packard, Novell, Motorola, Bull, Sun ou Microsoft – lui emboîtent le pas et y créent des filiales. C’est pour eux le seul moyen de concurrencer les sociétés de services informatiques (SSII) locales, les Tata Consultancy Services, Infosys et autres Wipro. D’abord de simples producteurs de logiciels, ces dernières se transforment, à partir des années 1990, en de véritables empires au service de compagnies étrangères, notamment américaines, qui leur sous-traitent diverses tâches informatiques, des soutiens logistiques et des services d’assistance téléphonique.
Créés dans la foulée de l’adoption, en 1991, de la loi de libéralisation de l’économie indienne, ce sont d’abord les centres d’appels qui font la renommée de Bangalore. Ils deviennent rapidement des sociétés de back office et prennent en charge les activités que leur confient de grands groupes occidentaux. Cela va de la comptabilité à la gestion à distance des systèmes informatiques, en passant par la paie, l’analyse financière et le traitement des données. Résultat : au cours de l’année financière 2006-2007, les exportations de services informatiques rapportent à l’Inde quelque 31 milliards de dollars. Selon les estimations de Nasscom, l’Association nationale des entreprises de logiciels et de services, l’objectif de 60 milliards de dollars en 2010 devrait être atteint. Près de 60 % de ces revenus proviennent des entreprises installées à Bangalore, qui, à elles seules, emploient la moitié des ingénieurs informatiques indiens (1 million, au total).

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Franchise de droits de douane et exonérations d’impôts
La mégapole sert dès lors de point de fixation. Les principaux acteurs mondiaux du secteur des TIC y affluent. Leurs sièges ultramodernes, qui marient harmonieusement le verre et le marbre, se dressent à quelques encablures du centre-ville, dans des technoparcs aménagés par l’État du Karnataka. Pour s’implanter, ils bénéficient de locaux mis à leur disposition, de franchise de droits de douane sur leurs importations et d’avantages fiscaux importants, qui peuvent aller jusqu’à l’exonération totale d’impôts pendant dix ans. Selon un rapport de la Banque mondiale, ces cadeaux, ajoutés à la qualité de la formation dispensée par les 1 670 établissements d’enseignement régionaux et aux bas salaires pratiqués constituent le secret du miracle économique de Bangalore.
L’informatique n’est toutefois pas la seule activité dans laquelle excelle Bangalore, qui, désormais, se distingue aussi dans les biotechnologies, les nanotechnologies et les sciences de l’environnement. Même dans le domaine de l’informatique, elle est en train de se renouveler de fond en comble en s’orientant de plus en plus vers la recherche et le développement. Les SSII ne se contentent plus de fournir des services, elles se lancent dans la création de joint-?ventures avec des compagnies étrangères, inventent de nouveaux concepts dans le domaine de l’aéronautique ou des réseaux haut débit.

Revers de la médaille
Malgré sa capacité d’innovation et de diversification, Bangalore n’en est pas moins un géant aux pieds d’argile. Le caractère totalement inadapté de ses infrastructures urbaines en témoigne : routes encombrées, fréquentes coupures d’eau et d’électricité, pénurie permanente de chambres d’hôtel Cité-jardin au climat tempéré, qui fut une ville de garnison à l’époque de la colonisation britannique, puis une paisible bourgade pour retraités pendant les premières décennies de l’indépendance, elle a été complètement prise au dépourvu par l’urbanisation galopante provoquée par sa métamorphose en centre mondial de technologies de l’information. En l’espace de vingt ans, ?sa population est passée de 1,5 million à 7 millions d’habitants. Et son parc automobile a augmenté de plus de 200 %.
Autant de difficultés qui incitent déjà certaines entreprises à chercher ailleurs, dans d’autres villes indiennes ou même asiatiques, des solutions de rechange. S’inspirant de la recette qui a fait le succès de leur aînée, ces villes parviennent à attirer des investissements déjà considérables. Un essaimage qui en dit sans doute aussi long sur les limites du modèle Bangalore que sur son succès persistant en Inde et au-delà.

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