UEMOA : le plafonnement des taux d’intérêts, un remède pire que le mal ?

En abaissant le plafond des taux d’intérêt, l’UEMOA voulait protéger les consommateurs. Mais la mesure, qui menace la survie de certaines institutions de microfinance, pourrait réduire l’accès au crédit.

Siège de l’UEMOA à Ouagadougou, Burkina Faso. © Sputniktilt/Wikipedia

Siège de l’UEMOA à Ouagadougou, Burkina Faso. © Sputniktilt/Wikipedia

Publié le 10 mars 2014 Lecture : 4 minutes.

La microfinance serait-elle en danger ? En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les spécialistes de ce modèle qui a permis à des millions de pauvres d’accéder aux services financiers sont inquiets. Au 1er janvier 2014, les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont abaissé le plafond du taux d’intérêt que les institutions de microfinance (IMF) peuvent appliquer à leurs clients, le ramenant de 27 % à 24 %.

La décision est censée protéger les consommateurs mais, d’après les IMF, elle peut s’avérer contre-productive. Car si le plafond est trop bas, clament-ils, les fournisseurs de services financiers pourraient avoir des difficultés à couvrir leurs frais de fonctionnement et se voir contraints de réduire leur couverture des populations les plus pauvres, notamment en zone rurale.

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« Limiter le taux d’intérêt exclut automatiquement la partie de la population la plus nécessiteuse », explique Khaled Ben Jilani d’AfricInvest

« Qu’une IMF prête 100 euros ou 10 000 euros, cela lui coûte à peu près la même chose [en frais de traitement]. Si on limite le taux d’intérêt, on exclut automatiquement la partie de la population la plus nécessiteuse », explique Khaled Ben Jilani, directeur associé du capital-investisseur AfricInvest.

Taux d’usuriers

Certaines institutions internationales s’inquiètent pour la viabilité de la microfinance. « En Afrique de l’Ouest, beaucoup de nos partenaires connaissent des difficultés pour atteindre l’équilibre », constate Julie Earne, spécialiste du secteur à la Société financière internationale (IFC), du groupe Banque mondiale.

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Un point de vue partagé par le patron d’une IMF de cette région, qui n’exclut pas de voir disparaître certains acteurs de la filière. Ce qui pousserait les emprunteurs les plus pauvres à revenir vers les usuriers « traditionnels », qui, eux, appliquent des taux d’intérêt pouvant monter jusqu’à 100 %.

Exonérations

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Le Consultative Group to Assist the Poor (CGAP, dont le siège est à Washington), qui a pour but de « développer des solutions innovantes pour l’inclusion financière [l’accès aux services financiers pour tous] », s’est lui aussi saisi du sujet. D’après une cartographie établie par cette organisation, les politiques de limitation de taux d’intérêt ont été appliquées dans 17 pays d’Afrique subsaharienne, majoritairement francophones. Parmi eux, les huit États de l’UEMOA et leurs six voisins de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).

Et pour ne rien arranger, certains de ces pays semblent vouloir tuer la poule aux oeufs d’or. « Au Sénégal, les autorités envisagent de revenir sur l’exonération fiscale en vigueur pour les IMF coopératives, alors même que beaucoup d’entre elles peinent à se développer », explique Jean-Hugues de Font-Réaulx, directeur d’investissement à l’Agence française de développement (AFD). Comme l’explique un autre patron d’IMF ouest-africaine, « les gouvernements ont une approche politique de la microfinance. Ils l’utilisent pour que les plus pauvres aient accès à de l’argent, sans chercher à créer un modèle durable ».

taux interet infographie 2773Dans une récente étude, le CGAP a montré que l’encadrement des taux est d’autant moins justifié que ceux-ci ont déjà baissé de 39 % à 25 % entre 2005 et 2011 en Afrique subsaharienne (voir graphique). De fait, Julie Earne, la spécialiste de l’IFC, estime que « plutôt que de plafonner les taux, il serait plus adapté de libéraliser le système pour faire baisser les coûts ».

Régulation

Les pays francophones pourraient également s’inspirer des expériences menées dans l’est du continent. « L’Ouganda a mis en place une réglementation « multicouche » en créant des régulations adaptées à différents types d’institutions financières et aux risques qu’elles posent pour le secteur », explique Julie Earne.

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Une idée défendue par Khaled Ben Jilani : « Il faut avoir des institutions de microfinance de tailles différentes pour aller vers une inclusion financière des différentes couches sociales et professionnelles, des personnes les plus démunies aux artisans, avoir des institutions spécialisées dans les zones urbaines ou rurales. La régulation est encore trop souvent monolithique. »

Alternatives

Le Kenya a ainsi renoncé à plafonner les taux d’intérêt, comme il l’envisageait encore en 2012, préférant un système inspiré de l’Ouganda. En RD Congo, cette option devrait également être abandonnée au profit d’un règlement de protection des consommateurs de services financiers.

Comme le souligne un article publié sur le site du CGAP, « plusieurs initiatives, comme la mise en place de règlements protégeant les consommateurs et facilitant le développement d’un écosystème innovant de prestataires, sont des alternatives efficaces au plafonnement des taux d’intérêt ».

Pour Jean-Hugues de Font-Réaulx, il faudrait aussi réfléchir à un éventuel changement de modèle s’appuyant sur les nouvelles technologies : « Construire des agences est très coûteux et aller en zone rurale risque de faire augmenter les charges d’exploitation, donc les taux. » Avec des pourcentages d’accès aux services financiers parmi les plus faibles au monde, l’Afrique ne peut se payer le luxe d’asphyxier les institutions de microfinance.

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