Lamido Sanusi, la polémique de trop
Suspendu à quelques mois de la fin de son mandat, Sanusi Lamido Sanusi quitte la Banque centrale du Nigeria comme il l’a dirigée : avec fracas. Le bilan de cet adepte des déclarations tapageuses et des mesures radicales sera âprement débattu.
« J’aime la controverse », déclarait Sanusi Lamido Sanusi le 3 février lors d’une conférence à Lagos. Celui qui était encore gouverneur de la Banque centrale du Nigeria était alors loin d’imaginer que la polémique qu’il avait lancée quelques heures plus tôt en accusant la société pétrolière nationale, Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), d’avoir détourné près de 20 milliards de dollars (environ 15 milliards d’euros) de fonds publics lui coûterait son poste. Dans un courrier adressé au président nigérian, Goodluck Jonathan, et dont le contenu avait fuité, il avait déjà détaillé les problèmes constatés dans le versement par NNPC des recettes pétrolières revenant à la fédération nationale.
Pour le chef de l’État, c’était la controverse de trop : il a décidé de suspendre de ses fonctions Sanusi, dont le mandat devait s’achever en juin et qui avait annoncé dès mars 2013 qu’il n’en briguerait pas d’autre. Le 20 février, ce fils de diplomate, qui ne brille pas par sa diplomatie, a donc quitté la Banque centrale du Nigeria comme il y était arrivé : avec fracas.
Boulet
Lamido Sanusi est vu, sur le plan international, comme celui qui a redonné sa crédibilité au secteur bancaire nigérian
Il aura passé près de cinq ans à la tête de cette institution, qu’il aura marquée plus qu’aucun gouverneur avant lui. Mais ses prises de position ont divisé l’opinion : considéré par les uns comme un pourfendeur de la corruption, il est critiqué par les autres pour avoir outrepassé sa fonction.
Reste que ses partisans et ses détracteurs s’accordent sur un point : il a empêché l’effondrement du secteur financier de la deuxième économie d’Afrique.
Un domaine qu’il connaît bien : lorsqu’il a pris la tête de la Banque centrale, en juin 2009, il était depuis peu directeur général de First Bank of Nigeria, l’un des plus grands établissements du pays. Et quelques semaines seulement après avoir pris ses fonctions à la tête de l’institution émettrice, il a remanié le secteur bancaire en profondeur. « Pour les établissements dont les fondations n’étaient pas solides, Sanusi a agi comme un boulet de démolition », affirme Oluseun Onigbinde, cofondateur du site internet BudgIT qui vulgarise les données disponibles sur les budgets publics. Il a renfloué neuf banques, en a nationalisé trois et a fait licencier huit dirigeants. « Il a su agir très rapidement, distinguer les bonnes banques des mauvaises et aider ces dernières à recouvrer la santé », explique Wale Shonibare, directeur général de la banque d’investissement UBA Capital.
Un chantier encore en cours, pour Sanusi Lamido Sanusi, qui juge « important, dans la résolution de la crise, de faire en sorte que les déposants ne perdent pas d’argent ». « Il serait donc souhaitable, indiquait-il avant sa suspension, qu’un accord soit trouvé pour que ce soient les banques nigérianes qui – au cours des dix prochaines années – paient le coût du sauvetage. »
Considéré en 2011 par le magazine Time comme l’une des cent personnes les plus influentes au monde, il est vu, sur le plan international, comme celui qui a redonné sa crédibilité au secteur bancaire nigérian et permis au pays de redevenir fréquentable aux yeux des investisseurs.
Il a freiné l’inflation, qui avoisinait 15 % quand il a pris ses fonctions et qui est maintenant stabilisée largement sous la barre des 10 %. Il a promis de sévir contre le blanchiment et la spéculation grâce à l’exigence d’une trésorerie de réserve de 75 % sur les dépôts du secteur public. Il a enfin poussé les banques à prêter aux Nigérians ordinaires et pas seulement à l’État ou à de grandes entreprises.
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Mais, si ses politiques – et ses déclarations – controversées lui ont valu des applaudissements à l’étranger, dans son pays, elles lui ont fait plus d’ennemis que d’amis. Car leur application a entraîné des suppressions d’emplois, une stagnation du crédit pendant des mois et une hausse des taux interbancaires. Le soutien que Sanusi Lamido Sanusi a apporté à la tentative gouvernementale de supprimer les subventions sur les carburants, en janvier 2012, n’a pas amélioré sa popularité auprès des Nigérians.
Rigueur
Certains de ses détracteurs estiment que, malgré la modification du cadre réglementaire des banques, la limitation de la durée des mandats de leurs dirigeants et l’abolition du système de banque universelle, la supervision reste insuffisante.
« Sa mission est de stabiliser la politique monétaire, alors pourquoi a-t-il introduit des fonds d’intervention pour l’agriculture, l’énergie et l’aviation ? Ce n’est pas son travail. Il semble être plus intéressé par la politique industrielle et la promotion d’un environnement favorable à l’investissement que par la supervision bancaire », estime Samuel Atiku, un chef d’entreprise.
Mais, pour ses partisans, l’approche rigoureuse de Sanusi Lamido Sanusi – à qui certains observateurs prêtent des vues sur la Banque africaine de développement (BAD) – est indispensable dans la gestion des affaires publiques, notamment au Nigeria. Les réformes qu’il a entreprises ont ainsi permis de restaurer la rentabilité d’un secteur bancaire qui était auparavant largement subventionné via des obligations d’État.
Le débat est donc loin de s’éteindre sur le bilan de ce gouverneur controversé. Et les premiers pas de Godwin Emefiele, l’actuel directeur général de Zenith Bank, qui devrait (sous réserve de l’approbation du Parlement) lui succéder, seront sans aucun doute suivis de très près.
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