Deux nations mises à l’essai

L’Afrique du Sud et la Namibie nourrissent des ambitions différentes pour la Coupe du monde. Mais les deux équipes africaines en lice sont confrontées au même défi : un meilleur accès des joueurs noirs à ce sport national.

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

John Smit, capitaine de l’Afrique du Sud, rêve de soulever la coupe Web Ellis et de fédérer derrière lui le pays. Comme le fit François Pienaar en 1995. À la différence des footballeurs sud-africains qui préparent le Mondial 2010 à domicile, les rugbymen ont une réelle chance d’arriver à leurs fins. Les Springboks, seule équipe à battre régulièrement les invincibles Néo-Zélandais depuis deux ans, en ont les moyens physiques et techniques.
De leur côté, les trente Namibiens voudront limiter les dégâts après sept défaites et 496 points encaissés en deux Coupes du monde. Selon Christo Alexander, directeur technique, la faiblesse des Welwitschias (du nom d’une plante poussant dans le désert du Kalahari namibien) est une conséquence de l’indépendance acquise en 1990. N’étant plus assimilée à une province sud-africaine par la Saru (Fédération sud-africaine de rugby), la Namibie n’a pas pu participer à la Currie Cup, le championnat des provinces. L’équipe nationale est restée au niveau amateur, sans moyen et sans structure. Seuls les 600 000 euros apportés par le sponsor MTN (téléphonie) ont permis de résorber le déficit de 120 000 euros et de bricoler une préparation pour la compétition.

De nombreuses polémiques raciales ont longtemps entaché les équipes de ces deux pays – et continuent d’ébranler la planète rugby. Nelson Mandela eut beau revêtir le maillot des Springboks en 1995 dans un émouvant instant d’euphorie nationale, le rugby reste, dans les mentalités, un « sport de Blancs ». Et ce n’est pas la nomination tardive du premier capitaine noir d’une équipe sud-africaine, Chiliboy Ralepelle, talonneur de 20 ans, à l’occasion d’un match contre une sélection mondiale en juin dernier qui changera le tableau. Seize ans après la fin de l’apartheid, la sous-représentation des Noirs et des Métis en équipe nationale est visible. Seulement six d’entre eux défendront les chances de l’Afrique du Sud lors de la Coupe du monde, pas plus qu’en 2003. Pourquoi la mixité est-elle au point mort ?
En Afrique australe, le rugby a toujours tenu une place particulière dans l’identité collective de la communauté blanche. Au plus fort de l’apartheid, il a structuré la société civile et politique afin de valoriser la puissance physique de l’homme afrikaner. Pourtant, les Noirs n’ont jamais délaissé ce sport socialement marqué. Dès 1914, l’Afrique du Sud comptait 82 équipes non blanches. Mais jamais elles n’ont pu affronter des équipes blanches. Il fallut attendre 1978 pour voir jouer, à l’instigation de l’ANC de Mandela, un rugby mixte. L’équipe des Barbarians sud-africains fut composée de Blancs, de Noirs et de Métis pour une tournée au Royaume-Uni. Dans la foulée, un de ses membres, Errol Tobias, métis de Caledon, devint le premier Springbok non blanc. Signe de ces temps d’ouverture, il fut porté en triomphe quelques mois plus tard par des supporteurs afrikaners de la ville de Bloemfontein.
Mais, depuis, la volonté de renforcer le nombre de joueurs noirs et métis dans l’élite du rugby sud-africain ne s’est jamais réellement concrétisée. Depuis Chester Williams, élevé au rang d’icône après ses performances lors de la Coupe du monde de 1995, il n’y a eu que quinze Noirs parmi les 144 nouveaux internationaux sud-africains. Dans le même temps, le ratio des licenciés, 464 477 au total, s’est équilibré avec deux Noirs pour cinq Blancs. Cette intrusion, même limitée dans l’élite, n’a toutefois pas été bien vécue par plusieurs joueurs encore hantés par de vieux réflexes racistes. « Il était fréquent que mes coéquipiers m’appellent kaffir [« nègre » en afrikaans, ndlr] », rappelle Chester Williams. Certains incidents rappellent combien la cohabitation entre Blancs et Noirs est fragile. En 2003, le rugbyman Geo Cronjé avait été renvoyé du camp d’entraînement des Springboks pour avoir refusé de partager sa salle de bain avec un coéquipier noir.

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Dans ce contexte, la recherche de symboles forts pour créer un attachement au maillot sud-africain est devenue une priorité. Le remplacement de l’antilope (« springbok » en anglais) par la fleur de protéas comme l’a déjà fait l’équipe nationale de cricket ne serait qu’une première étape. Dans le même registre, la réintroduction d’une danse guerrière zouloue, exécutée en 1926 par les Springboks et reprise depuis quatre ans en aparté dans les vestiaires, est aussi envisagée. Autant de références culturelles qui doivent redonner sens à la société « arc-en-ciel ».
En Namibie, le problème de mixité en équipe nationale est tout aussi présent. Les joueurs noirs et métis ne sont plus que six cette année au lieu de neuf en 2003. Pourtant, il existe encore aujourd’hui une vingtaine de clubs métis ou noirs. Mais pendant presque un siècle jamais ils n’ont pu rencontrer les équipes blanches ni postuler en équipe nationale. Malgré de vrais talents comme Wacca Kazombiaze, de l’ethnie des Hereros, le rugby namibien a encore du mal à s’ouvrir. Christo Alexander a souhaité que le terme de Biltongboere (« viande blanche »), utilisé pour désigner le quinze namibien, soit remplacé par Welwitschia. En attendant mieux.
Au cur des polémiques, que ce soit en Afrique du Sud et en Namibie, le rugby reste le miroir du degré de modernisation de la société. Les accusations de racisme qui sévissent dans les sélections gangrènent les esprits et ravivent des tensions oubliées. Pour les éteindre, ces deux nations n’attendent qu’une victoire. Celle du terrain.

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