Afrique du Sud : « Moffie », l’enfer des soldats homosexuels sous l’apartheid

Dans un film aussi beau que brutal, Oliver Hermanus raconte le service militaire d’un jeune homosexuel sud-africain dans les années 1980. Au cœur d’une minorité blanche qui rejette toute différence.

« Moffie », d’Oliver Hermanus, 99 minutes, dans les salles françaises le 7 juillet

« Moffie », d’Oliver Hermanus, 99 minutes, dans les salles françaises le 7 juillet

leo_pajon

Publié le 7 juillet 2021 Lecture : 3 minutes.

« Les Noirs sont à nos portes, si près qu’on peut les sentir. Mais nous défendrons nos femmes, nos enfants, notre patrie. » Après seulement quelques minutes de film, le ton est donné. Nous sommes en 1981, dans une Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid, et l’on suit les premiers pas de Nicholas (interprété par Kai Luke Brummer, jeune acteur touchant de retenue), un garçon attiré par les garçons, lors de son service militaire dans un camp d’entraînement réservé aux jeunes hommes blancs.

Ennemis désignés

Le pays est alors plongé dans une guerre aussi durable qu’inutile (personne n’en sortira gagnant) avec l’Angola communiste. L’ennemi désigné est donc « le communiste », mais aussi « le Noir ». Dans une séquence introductive aussi intense que brève, un vieil homme noir assis seul sur un banc, sur le quai d’une gare, se fait insulter par tout un train de garçons blancs partant pour le camp d’entraînement. « Lève-toi quand on te parle, monsieur Noir ! »

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Mais l’on comprend vite que cette violence s’étend à tout ceux qui sortent de la « norme » acceptée par cette minorité blanche, très croyante, d’Afrikaaners. Elle se porte donc aussi sur les homosexuels, ces « dégénérés » qui sortent du rang et mettent en danger les valeurs traditionnelles de la petite communauté. Un baiser, une caresse, et les moffies (littéralement « tapettes » en afrikaans) se font molester par leurs frères d’armes avant de rejoindre drogués et aliénés dans des centres d’internement psychiatriques redoutés.

Ce drame filmé par le natif du Cap Oliver Hermanus s’inspire de Moffie, un ouvrage autobiographique d’Andre Carl van der Merwe qui a connu un certain succès en Afrique du Sud. Il surprend pour plusieurs raisons. D’abord par son éblouissante beauté formelle : la photo, vintage, évoquant les années 1980, est souvent éclaboussée de lumière. L’enfer que vivent ces jeunes hommes dans le camp et sur le front contraste avec la grâce des images. De même que cette scène de suicide, paraissant d’autant plus choquante dans le film qu’elle succède à des scènes de sport en plein air magnifiant les corps des garçons, cette mort tragique interrompant brutalement l’un des rares moments insouciants de l’histoire.

Humiliations constantes

L’autre surprise est de découvrir que des victimes existent aussi au sein de la communauté blanche durant l’apartheid. Les homosexuels, certes, mais l’ensemble des jeunes hommes, qui subissent au sein de l’armée des violences et des humiliations constantes. « Oubliez tout ce que vous pensez savoir. Vous n’êtes plus personne. Vous êtes des avortons. Des croûtes inutiles remplies de pus. C’est notre mission de vous transformer en hommes », hurlent des gradés aux apprentis soldats lorsqu’ils rejoignent le camp.

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Dans ses excès (par exemple en ordonnant à un des gamins de ravaler son vomi), le sergent dont dépend Nicholas évoque le sergent-instructeur Hartman de Full Metal Jacket. La machine à broyer de l’armée vise à un objectif : faire de ces jeunes hommes des choses dociles au service du gouvernement sud-africain.

Le film d'Oliver Hermanus s'inspire de "Moffie", un ouvrage autobiographique d’Andre Carl van der Merwe © Outplay

Le film d'Oliver Hermanus s'inspire de "Moffie", un ouvrage autobiographique d’Andre Carl van der Merwe © Outplay

« Pour être honnête, je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance aux difficultés que pouvaient rencontrer les Blancs sud-africains, confie Oliver Hermanus dans la note d’intention du film. J’ai toujours pensé, par rapport à ce que me transmettaient mes parents de couleur ainsi que mes grands-parents, que les Blancs en Afrique du Sud menaient une vie facile. »

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Or, les hommes blancs, devenus en quelque sorte « propriété » de l’État, envoyés sur le front d’une guerre absurde, ont aussi souffert, et vivent encore aujourd’hui avec ces souvenirs dans un pays qui a officiellement tourné la page de l’apartheid. « Très peu d’entre eux parlent de leur passage dans l’armée, comme si cela n’avait jamais eu lieu », remarque le réalisateur. Son film est peut-être le premier d’une série qui permettra de raconter autrement l’histoire de l’Afrique du Sud.

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