Bouteflika, cible d’Al-Qaïda

L’attentat-suicide du 6 septembre, à Batna, a fait une vingtaine de victimes. Il visait le chef de l’État.

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Batna, 6 septembre. Dernière étape d’un périple dans l’est du pays entamé trois jours auparavant (voir pp. 86-88), la capitale des Aurès s’apprête à accueillir Abdelaziz Bouteflika. Comme lors de chaque déplacement du chef de l’État à l’intérieur du pays, la foule est énorme, compacte.
À 13 h 30, le convoi s’avance, venant de la ville voisine de Mila. Soudain, les voitures officielles s’immobilisent. Le président, qui raffole des bains de foule, souhaite parcourir à pied les derniers hectomètres. Dans la rue qui mène à la mosquée al-Atik, en plein centre-ville, c’est le délire : youyous stridents, baroud de cavaliers en costumes traditionnels
Au milieu de la foule, l’attitude d’un homme d’une trentaine d’années intrigue. En dépit de la forte chaleur – au moins 35 °C -, il porte un épais manteau et manie avec précaution un volumineux sachet en plastique. Des spectateurs alertent des policiers en civil. L’un de ces derniers se dirige vers le suspect et lui demande ce qu’il transporte dans son sac. L’homme prend ses jambes à son cou et tente de s’extraire de la foule. Dans sa fuite, il laisse échapper l’engin explosif dissimulé dans le sac. Et c’est le carnage.
Le terroriste, le policier qui tentait de l’interpeller et quatre autres personnes sont tués sur le coup. Huit autres décéderont pendant leur évacuation vers l’hôpital de Batna. Dans la rue, le spectacle est cauchemardesque. Partout, des flaques de sang, des morceaux de chair humaine La panique est indescriptible. Des mères hurlent, à la recherche de leurs enfants. Les secours s’organisent et un cordon de sécurité est établi autour du lieu de l’explosion. « Il faut préserver le matériel pour l’enquête », commente doctement un policier.
À quelques centaines de mètres de là, le cortège est figé de stupeur. Tout le monde a entendu l’énorme déflagration Les agents du Service de sécurité présidentielle (SSP) entourent Bouteflika. Que se passe-t-il ? Personne n’en sait rien. Le président demande à voir Yazid Zerhouni, son ministre de l’Intérieur, qui l’accompagne toujours dans ses déplacements sur le terrain. Celui-ci est déjà sur les lieux de l’explosion. Il comprend immédiatement que le pays vient, par miracle, d’échapper au pire : l’assassinat du chef de l’État sans doute le plus populaire depuis l’indépendance.

Bien sûr, le programme de la visite est chamboulé. Plus question de bains de foule, ni d’inaugurations Ancien combattant de la guerre de libération, Bouteflika, qui en a vu d’autres, se rend aussitôt au chevet des blessés. Dans son regard, ni panique ni abattement, mais de la compassion et beaucoup de détermination. Il donne des instructions aux équipes médicales, s’enquiert de leurs besoins. « S’il manque des équipements, nous les ferons venir de l’étranger », lance-t-il aux cadres de l’hôpital.
Capitale des Aurès et fief du nationalisme algérien, Batna est aussi le berceau de la communauté chaouie, ces berbères réputés pour leur loyauté et leur patriotisme. Bouteflika y est très populaire. Lors de la présidentielle d’avril 2004, il y avait largement devancé son rival Ali Benflis, pourtant « régional de l’étape ».
Les notables de la ville se réunissent et prient le chef de l’État de se joindre à eux. Ils veulent à tout prix le convaincre que le terroriste ne peut en aucun cas être l’un des leurs. Il répond que rien ne l’empêchera de poursuivre sa politique de réconciliation nationale, qui est « un choix stratégique, fruit de ma réflexion avant mon retour aux affaires et conforté par l’adhésion populaire exprimée à l’occasion de deux consultations référendaires ».

la suite après cette publicité

Bouteflika informe alors son directeur du protocole, médusé, de son intention de se rendre sur les lieux de l’attentat. Panique au SSP ! Le site n’offre aucune garantie de sécurité, mais il n’en a cure. En chemin, un collaborateur lui tend un téléphone portable : premier président étranger à réagir, Nicolas Sarkozy lui présente ses condoléances. La nuit est tombée sur Batna et le chef de l’État arpente toujours les rues de la ville. En dépit de la tragédie qui les frappe, les habitants lui crient leur joie de le voir indemne. Le lendemain, il décide de prolonger son séjour pour assister aux obsèques des victimes – une vingtaine, au total -, non sans avoir achevé le programme pour lequel il était venu : l’inauguration d’un gigantesque projet hydraulique.
Vingt-quatre heures plus tard, l’attentat n’avait toujours pas été revendiqué. Mais il porte sans nul doute la griffe d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Quelques jours auparavant, une cellule comprenant des combattants étrangers, maghrébins pour la plupart, avait d’ailleurs été démantelée dans la région.
Reste que cette absence de revendication soulève de nombreuses questions. Après les attaques-suicides du 11 avril contre le Palais du gouvernement et une direction régionale de la police criminelle, à Alger, de même qu’après l’opération du 11 juillet contre une caserne de Lakhdaria, en Kabylie, leurs commanditaires s’étaient aussitôt manifestés. « Il semble que l’attentat visait la personne du président, analyse un responsable. Une organisation en perte de vitesse comme Al-Qaïda au Maghreb islamique pouvait difficilement revendiquer un échec. » Pas très convaincant.
D’autres se montrent plus inquiets. Ils redoutent qu’un groupuscule inconnu des services de police n’ait décidé de passer à l’action. Monter ce type d’opération ne requiert sans doute ni savoir-faire ni moyens exceptionnels. Or le goût prononcé de Bouteflika pour les bains de foule pose un sérieux problème sécuritaire. C’est même le cauchemar du SSP. « Il est impossible de surveiller une foule de plusieurs milliers de personnes désireuses de serrer la main du président, assure un ancien du service. Le fait qu’aucun d’incident grave n’ait eu lieu jusqu’ici tenait du miracle. »
Ceux qui connaissent le caractère de « Boutef » ne doutent pas un instant que l’attentat de Batna ne lui fera pas changer ses habitudes. Reste à connaître la réaction des Algériens. Sachant que leur président est désormais la cible d’Al-Qaïda, ne vont-ils éviter de se trouver en sa compagnie ? La réponse des habitants de Batna ne s’est pas fait attendre. Dès le lendemain du drame, une foule compacte se bousculait pour l’accueillir, puis pour prier à ses côtés dans la grande mosquée de la ville. À peine les victimes enterrées, Zerhouni a rendu publics les premiers résultats de l’enquête. Le kamikaze aurait pour nom de guerre Abou Mokdad. Âgé de 28 ans, il est, semble-t-il, originaire de l’ouest du pays.
En dépit d’un bilan humain très lourd, l’attentat de Batna aurait eu des conséquences beaucoup plus dramatiques encore si ses commanditaires avaient pu atteindre leur objectif. Tout cela est de fort mauvais augure à la veille du ramadan, le mois sacré des musulmans incitant souvent les djihadistes à redoubler d’activité. Décidément, malgré ses milliards de dollars de réserve de change, ses faramineux programmes de développement et la stabilité de ses institutions, l’Algérie semble encore bien vulnérable.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires