Erik Goaied, le Tunisien sur la piste du trésor de Kadhafi
Mystérieux businessman bien introduit à Tripoli et à Pretoria, cet aventurier au parcours éclectique est le personnage principal de la course au trésor que le Guide libyen aurait caché en Afrique du Sud.
Ce 20 avril, un téléspectateur tunisien regarde d’un œil distrait le documentaire Où sont les milliards de Kadhafi ?, diffusé par Arte, quand, abasourdi, il reconnaît un camarade de classe. « C’est Iskander, même s’il ne porte pas le même prénom, il n’a pas changé. Nous étions pendant deux ans à l’école de David Solal et voisins dans la même cité du quartier de Lafayette, à Tunis », confie-t-il sous le coup de la surprise à un ami. Iskander se fait désormais appeler Erik et est, à 54 ans, le personnage principal d’une enquête sur la course aux milliards qu’aurait cachés en Afrique du Sud le guide de la Jamahiriya libyenne avant sa chute, en 2011.
Rien ne destinait Erik Goaied à devenir chasseur de trésor. Grand, réservé, le sourire rare, il a l’allure du gendre idéal, sans rapport avec l’univers interlope des barbouzes et des secrets d’État. Et Erik Goaied n’a pas changé. Ou presque pas : celui qui, dans les années 2000, écumait les Salons de l’agriculture à Tunis en quête d’innovation pour l’exploitation agricole héritée de sa famille a simplement le regard plus dur derrière ses lunettes rectangulaires, une légère crispation de la mâchoire, et semble sur le qui-vive.
Double vie
Issu de la tribu des Frachiches, il est propriétaire de vastes terres familiales à Bhiret Barmajna, dans leur fief originel de Thala, à la frontière algérienne. Il a grandi dans le récit de la saga de son grand-oncle Mohamed Lamine el-Ghidaoui et de ses grands-pères, Mohamed et Abdesalem Goaied, des notables et lettrés de la région. Précurseurs de la résistance à la colonisation, ces derniers ont été, en 1906, sous l’impulsion d’un marabout algérien, à l’origine de la première insurrection d’importance contre les autorités coloniales en Tunisie, un épisode connu sous le nom de « l’affaire Thala-Kasserine ».
Celui qui, à Thala, s’appelle Iskander et non Erik, son autre prénom dû à une ascendance maternelle suédoise, veut reprendre le flambeau et assure que « les valeurs de [leurs] ancêtres sont dans [leurs] gènes et [les] font vivre ». Nourri de l’épopée des Frachiches, Iskander Goaied imagine « Terre d’ancêtres », un projet de valorisation de ses terres, qui bruissent de légendes. Entre 2005 et 2006, les agriculteurs du cru suivent avec attention le bras de fer entre Iskander Goaied et les autorités, qui lui refusent l’accès aux entrepôts frigorifiques où il veut déposer sa production de pommes de terre.
Il entretient un beau carnet d’adresses entre Pretoria et Tripoli, notamment en période d’embargo sur la Libye
L’idée pour l’État est alors de contrer les spéculateurs qui entreposent la pomme de terre et attendent qu’elle se fasse plus rare pour la mettre sur le marché à des prix élevés. Spontanément, devant le réalisateur qui relate sa chasse au trésor de Kadhafi, il regrette d’avoir négligé son exploitation agricole durant cette quête fiévreuse.
Quand il semblait être un paisible propriétaire terrien, Iskander Goaied avait en fait déjà une double vie. À Tunis, autour de 2006, il se présentait comme un revendeur de matériel médical auprès des autorités libyennes et ne cachait pas ses difficultés financières. Il avait d’ailleurs lancé « Terre d’ancêtres » comme une soupape de sécurité, un retour aux fondamentaux, ou plutôt une solution de repli, au cas où ses activités libyennes tourneraient mal.
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