[Tribune] RDC : Félix Tshisekedi, les contrats miniers et le « dilemme du prisonnier »
Le président Félix Tshisekedi veut persuader les entreprises minières étrangères de remettre à plat les contrats conclus sous Joseph Kabila. Pour remporter le bras de fer qui s’annonce, il devra aussi convaincre ses propres amis politiques, souvent partis prenantes dans des joint ventures, du bien fondé de sa démarche.
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Roger-Claude Liwanga
Chercheur à l’université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory.
Publié le 19 juin 2021 Lecture : 4 minutes.
Sous le régime du président Joseph Kabila, entre 2007 et 2008, Kinshasa et Pékin ont signé des contrats miniers bien particuliers : les désormais fameux « contrats chinois ». Privilégiant le troc, ils étaient simples en apparence. Un groupement d’entreprises chinoises – China Railway Group Limited et Sinohydro Corporation – , s’est ainsi engagé à construire des milliers de kilomètres d’infrastructures routières et ferroviaires, ainsi que des centaines de centres de santé et d’hôpitaux pour un montant de 6 milliards de dollars américains. En contrepartie, la RDC leur cédait des gisements de cuivre, de cobalt et d’or pour exploitation.
Des promesses qui tardent à se matérialiser
Mais voilà, plus de dix ans après la signature de ces « contrats chinois » et le début de l’exploitation des minerais par ces entreprises, la construction d’infrastructures promises tarde toujours à se matérialiser. Seule solution pour réparer cette « injustice », selon le successeur de Joseph Kabila, renégocier tous les contrats miniers liant la RDC aux sociétés étrangères, qu’elles soient européennes, canadiennes, indiennes ou chinoises.
Pour Félix Tshisekedi, il est inadmissible que les populations congolaises résidant dans les zones où les minerais de cuivre, de cobalt ou d’or sont exploités « croupissent toujours dans la misère », tandis que les multinationales étrangères s’enrichissent à leurs dépens.
Si certains saluent cette initiative « patriotique », d’autres, en revanche, s’intéressent davantage à la stratégie du « dilemme du prisonnier » dont Tshisekedi semble vouloir user pour faire plier les compagnies minières. Énoncée en 1950 par le mathématicien Albert Tucker, ce « dilemme du prisonnier » décrit la situation de deux prisonniers qui ont intérêt à coopérer, mais, en l’absence de toute communication entre eux, chacun fini par décider de trahir l’autre.
Si les deux prisonniers collaborent, chacun d’eux se verra condamner à une peine minimale. Si l’un avoue le crime en trahissant l’autre, le traître sera libéré, tandis que son comparse, resté silencieux, sera condamné à la peine maximale. Si les deux se trahissent mutuellement, chacun se verra condamner à une peine intermédiaire.
Cette tactique est aussi utilisée dans les négociations commerciales. C’est par exemple peu ou prou ce qu’a utilisé l’ancien président américain Donald Trump lors de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain avec le Canada et le Mexique, en 2018.
Sévères mesures de rétorsion
Dans le contexte des contrats miniers en RDC, Félix Tshisekedi reproche au consortium d’entreprises minières chinoises, d’une part, et au groupe de sociétés minières non-chinoises, d’autre part, de s’enrichir au détriment des populations locales. Selon ce scénario, Tshisekedi représenterait le geôlier tandis que le consortium d’entreprises minières chinoises et le groupe de sociétés minières non-chinoises pourraient être perçus chacun comme un prisonnier. Ces « prisonniers » que sont le consortium d’entreprises chinoises et le groupe de sociétés européennes, canadiennes et indiennes pourraient coopérer, c’est-à-dire accepter une renégociation des contrats miniers profitable à tous.
Cependant, si toutes ces entreprises minières ne collaboraient pas, le président congolais pourrait prendre des mesures drastiques à leur encontre.
Bien entendu, jusqu’à présent, Félix Tshisekedi ne s’est pas encore prononcé – du moins officiellement – , sur les potentielles mesures de rétorsion qu’il pourrait être amené à adopter si les entreprises concernées refusaient de renégocier leurs contrats.
Si le groupe d’entreprises minières non-chinoises accepte de renégocier leurs contrats, alors les entreprises chinoises n’auront peut-être pas d’autres choix que faire de même. On serait alors dans une situation de « gagnant-gagnant », telle que souhaitée par Tshisekedi. Si, outre les entreprises indiennes, les sociétés occidentales étaient les seules à accepter de renégocier leurs contrats, Félix Tshisekedi pourrait prendre des mesures de rétorsion plus sévères contre les chinoises…
« L’Union sacrée » convaincue?
D’aucuns diront que les compagnies minières étrangères ainsi mises en cause n’ont aucune raison de refuser de rediscuter certains aspects de leurs partenariats. Et ce d’autant plus que la Convention de collaboration entre la RDC et le groupement d’entreprises chinoises garantit, par exemple, la périodicité des discussions amiables sur la bonne exécution de leur accord.
N’oublions pas qu’au-delà des questions juridiques, la renégociation des contrats miniers comporte également une dimension politique en RDC. En effet, presque toutes les entreprises minières étrangères opérant en RDC sont créées en joint-venture avec les sociétés minières congolaises. Et parmi les partenaires ou copropriétaires congolais de ces entreprises mises en causes, certains seraient les alliés du camp présidentiel au sein de l’« Union sacrée ». Le président a d’ailleurs reconnu que quelques Congolais tiraient profit de ces contrats léonins.
D’où cette interrogation : avant d’annoncer publiquement la renégociation des contrats miniers, Félix Tshisekedi a-t-il pris soin de convaincre ses alliés politiques de la nécessité de revoir les accords miniers léonins dont ils sont eux aussi bénéficiaires ? Qu’arriverait-il si ses alliés ne soutenaient pas son initiative ? Quoi qu’il en soit, les multinationales minières, elles, ont tout intérêt à coopérer avec le gouvernement congolais. Car le président Félix Tshisekedi n’est pas totalement démuni : si les discussions à l’amiable devaient échouer, il pourrait arbitrer, comme l’y autorise la Convention de collaboration entre la RDC et groupement d’entreprises chinoises.
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