« 143, rue du Désert », l’Algérie depuis les bords de la Nationale 1

Installée au bord de la route reliant Alger à la frontière du Niger, Malika recueille dans son café les confidences des voyageurs. Un documentaire subtil de Hassen Ferhani qui rappelle le mythique « Bagdad Café ».

Film « 143, rue du désert ». © Météore Films

Film « 143, rue du désert ». © Météore Films

Renaud de Rochebrune

Publié le 19 juin 2021 Lecture : 3 minutes.

On se souvient du succès planétaire que remporta, à la fin des années 1980, Bagdad Café. Ce film devenu mythique évoquait l’ambiance conviviale d’un coffee-shop aux États-Unis, loin de tout lieu habité, au bord de la célèbre Route 66. Il était tenu par une sympathique dame d’âge mûr abandonnée par son mari et fréquenté par des marginaux et des routiers. Un portrait d’une certaine Amérique sous forme de feel good movie dont le souvenir revient à l’esprit quand on regarde le second long métrage de l’Algérien Hassen Ferhani, 143, rue du Désert.

Lequel a cependant l’avantage, tout en racontant une histoire à bien des égards semblable, de ne jamais cultiver les bons sentiments ou le psychologisme. Et, surtout, d’être encore plus captivant parce qu’il ne s’agit pas d’une fiction mais d’un documentaire aussi passionnant que les fictions, mettant en scène une belle héroïne, Malika, et une galerie de personnages secondaires attachants.

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Quelqu’un à qui parler

143, rue du désert, c’est l’adresse d’un café que tient toute seule une vieille dame au beau milieu du Sahara. Précisément au bord de la Nationale 1, l’une des routes les plus longues et les plus importantes d’Afrique, reliant Alger à la frontière du Niger, sur près de 2 500 kilomètres. C’est là, en effet, que Malika vend des boissons, des cigarettes ou des œufs aux conducteurs et autres occupants des véhicules qui font une pause. Des chauffeurs de camions, mais aussi des passagers de bus – comme ces musiciens de retour d’un festival ou ces religieux de retour d’un pèlerinage – ou encore d’intrépides motards. On verra ainsi à l’écran s’arrêter une aventurière sur deux roues en quête de ravitaillement.

Conversation après conversation, Hassen Ferhani dessine le tableau d’une Algérie plurielle

La nourriture que fournit la « gardienne du désert », comme la surnomme l’écrivain Chawki Amari, ami du réalisateur, qui la lui a fait connaître, est évidemment tout autant symbolique que réelle : le plus souvent, tous ceux qui font halte devant sa misérable cabane cherchent sans doute moins à se désaltérer ou à acquérir tel ou tel produit que quelqu’un à qui parler et raconter leurs (més)aventures récentes.

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« Agora de la démocratie »

En nous racontant caméra à l’épaule l’existence et les rencontres de Malika, qui a quitté depuis longtemps une vie qui ne lui convenait plus dans une ville du nord de l’Algérie pour se réfugier dans sa baraque improbable, Hassen Ferhani ne propose pas seulement un portrait superbe d’une femme de caractère. Qui, à sa manière, a presque coréalisé le film, son film. Saynète après saynète, conversation après conversation, il dessine aussi le tableau d’une Algérie plurielle, dont les citoyens ou les visiteurs étrangers ne méconnaissent pas les tares, qu’ils dénoncent en évoquant leurs insatisfactions comme leurs espoirs. Le café du désert, aussi excentré soit-il, est bien, comme l’affirme le réalisateur qu’on dit sensible à la brutalité comme à la poésie de la société algérienne, cette « agora de la démocratie » tant réclamée par la population.

Déjà en 2015, avec son premier long métrage joliment intitulé Dans ma tête un rond-point, Hassen Ferhani avait démontré, en racontant la vie de jeunes travailleurs dans le plus grand abattoir d’Alger, son immense talent pour croquer de façon oblique l’âme de son pays et de ses habitants. Avec cet original road movie immobile réalisé sans grands moyens, il récidive ici de façon encore plus convaincante.

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L’Algérie possédait depuis un quart de siècle avec Malek Bensmaïl l’un des plus grands documentaristes du continent. Elle peut aujourd’hui s’enorgueillir d’en faire connaître un autre, dans un style différent, plus porté à offrir sur l’écran un ressenti que de la documentation et de l’information. Deux approches en fin de compte complémentaires pour nous parler intensément de leur pays.

Affiche de « 143 rue du désert » © Météores Films

Affiche de « 143 rue du désert » © Météores Films

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