Qui sont les gendarmes des douanes

Les règles internationales et la lutte contre les fraudes obligent à intensifier les contrôles aux frontières. Immigration ? Non, c’est d’import/export qu’il s’agit.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

En 2004, selon les dernières statistiques communiquées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Afrique a importé pour 212 milliards de dollars de marchandises et en a exporté pour 232 milliards. Ce qui représente respectivement 2,6 % et 2,3 % du commerce mondial. Les échanges à destination ou au départ du continent sont en constante augmentation, et se pose le problème crucial de leur surveillance et de leur certification. Pour que les importations et les exportations répondent aux standards internationaux et soient sécurisées au maximum, les gouvernements africains, comme les entreprises privées, font appel à des sociétés spécialisées. D’origine helvétique, SGS est le premier groupe spécialisé dans ce domaine à s’être implanté en Afrique : ses filiales de Côte d’Ivoire, du Kenya et d’Égypte existaient dans les années 1950 sous le nom de Société générale de surveillance. « Les gouvernements exigent la mise en place de programmes de contrôle leur permettant de s’assurer que les règles du jeu sont respectées par tous, et les entreprises privées souhaitent garantir leurs transactions, notamment vis-à-vis de tiers, comme les compagnies d’assurances ou les banques », explique Roger Kamgaing, directeur Afrique de SGS.
Le Bureau Veritas, né aux Pays-Bas, est présent sur le continent depuis 1984 en ce qui concerne le commerce international. Inspection des navires, des marchandises dans les ports, certification des produits ou des systèmes : ses services s’adressent aux entreprises, aux ONG comme le Programme alimentaire mondial des Nations unies, et aux gouvernements, via une filiale spécialisée, Bivac. « Pour les entreprises privées, nous offrons des certifications de tous types, et nous adaptons nos services aux pays et aux ressources. Nous certifions l’ananas, le café et le cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire, le pétrole au Nigeria ou au Congo Nous avons des bureaux dans tous les pays d’Afrique », précise Éric Sabatier, directeur des opérations du commerce international.
Quant à la société Cotecna, suisse également, elle est arrivée sur le continent en 1984, par le biais de contrats avec le Ghana et le Nigeria. « L’Afrique est notre principale zone d’activité, note David Koechlin, son vice-président. Les services aux gouvernements représentent les neuf dixièmes de notre activité. Ils souhaitent consolider leurs recettes douanières qui constituent souvent 40 % à 70 % de leurs revenus fiscaux. Alors qu’ils ont un besoin vital de ressources financières, ils sont confrontés à un paradoxe : suivre les recommandations de l’OMC et baisser leurs droits de douane pour vitaliser le commerce. De plus, des droits de douane trop élevés augmentent la fraude. L’objectif de notre travail est de sécuriser les importations des gouvernements pour préserver leurs recettes douanières. Les faire entrer au mieux permet ensuite de baisser les droits de douane. Nous vérifions aussi les chargements, pour les pays qui n’en ont pas les moyens logistiques, dans le but d’empêcher l’entrée de produits illicites comme de la drogue ou des armes. Enfin, nous veillons à la sécurité alimentaire et sanitaire, pour éviter par exemple les faux antibiotiques fabriqués en Asie ou les médicaments périmés. »
La tendance de ces dernières années est le contrôle à destination (et non plus à l’embarquement). Plus rapide et plus efficace, il permet d’accélérer les procédures douanières et donc de désengorger les ports africains. Autre évolution : la demande de technologie. « On ne fait plus le même métier qu’il y a vingt ans, indique Éric Sabatier, de Bureau Veritas. L’inspection est aujourd’hui orientée douane, et, pour certifier la conformité des produits et des procédures, il y a une demande d’outils informatiques, comme l’interconnexion entre les douanes, et de services associés, comme la formation. Les douanes africaines sont de plus en plus au fait des techniques, elles savent ce qui se fait ailleurs et connaissent mieux leurs besoins. Elles sont moins attentistes et plus volontaires et veulent des outils au niveau de l’interconnexion, de la traçabilité et de la réconciliation des données informatiques inter-États. » Les équipements technologiques passent aussi par les scanners, qui permettent de ne plus ouvrir les conteneurs. La SGS a mis en place une plate-forme électronique, adoptée par le Ghana et Maurice, TradeNet, qui met en réseau tous les acteurs du marché. La Cotecna développe depuis dix ans un système d’analyse de risque qui permet de « noter » chaque transaction et de déterminer un niveau d’intervention. « Cela diminue les coûts, accélère les démarches de dédouanement et fluidifie le processus. C’est automatisé, donc inviolable, car il n’y a pas de risque de corruption de personnes », précise David Koechlin.
Corruption, fraude douanière, donc fiscale, sous-facturation, contrôles plus ou moins regardants aux ports d’arrivée… Les sociétés doivent faire face à une grande variété de mauvaises pratiques. « C’est toujours la même contrebande, les mêmes fraudes sur la valeur des marchandises, la contrefaçon Pour éviter cela, il faut des contrôles aux frontières et l’interconnexion des douanes, résume le Bureau Veritas. Le maître mot, c’est la sélectivité : arrêter les contrôles à 100 % et se focaliser sur certains points cruciaux comme les origines douteuses des produits et la fiabilité des importateurs et des exportateurs. »
Pour le vice-président de Cotecna, il existe « des systèmes de fraude très organisés où tout le monde a intérêt à frauder, du vendeur à l’importateur. Il arrive aussi que les intérêts privés rejoignent les intérêts politiques… Ce sont des problèmes récurrents, reconnus par les gouvernements qui font appel à nous ». Si la bureaucratie tend à s’alléger grâce aux nouvelles technologies, il reste parfois une certaine résistance au changement. « Difficile d’intervenir en tant qu’étranger. Le corps des douanes est très solidaire, jaloux de ses prérogatives. Or nous sommes là pour l’aider, pas pour faire son travail. Signaler les anomalies, former les douaniers, faire évoluer les programmes et transférer du savoir-faire. Nos scanners deviennent propriété des États au bout de cinq ou six ans », note David Koechlin.
Depuis une vingtaine d’années, les progrès enregistrés au niveau de la certification varient selon les pays. « Les plus avancés sont ceux qui ont misé sur des solutions informatiques et la technologie », pointe Éric Sabatier du Bureau Veritas. Même avis chez Cotecna : « D’une façon générale, l’augmentation des moyens informatiques bénéficie aux douanes, mais les avancées réelles sur le terrain sont variables. Le Nigeria se donne les moyens et le gouvernement s’est engagé pour dix ans avec nous sur des programmes de lutte contre la fraude et la corruption. La douane sénégalaise, bien formée et compétente, apporte aujourd’hui son expertise à d’autres pays africains, et le Ghana et la Tanzanie ont fait de gros progrès. On sent une volonté politique de construire une relation avec l’international, de se mettre aux normes pour ne plus avoir l’image de pays dangereux. »
Pour autant, Roger Kamgaing, de SGS, explique : « Une des difficultés pour une généralisation de la certification réside dans la faiblesse des organes chargés de gérer ces activités. En ce qui concerne la sécurité du trafic de marchandises, c’est une notion nouvelle qui date du 11 septembre 2001. L’Afrique fait des efforts importants de mise aux normes, mais se heurte au fait que les pays plus développés ne conçoivent pas toujours qu’il puisse être utile pour un pays moins avancé de se protéger de la même manière. Il n’est pas rare de voir des personnes mécontentes d’un contrôle douanier dans un aéroport africain alors que le même contrôle dans un aéroport européen ne générerait aucune critique ! » Et de poursuivre : « Peu de pays sont aux normes. C’est en Afrique du Sud et au Kenya que cette problématique semble avoir le plus de résonance. D’autres pays, comme l’Éthiopie, le Rwanda, le Burundi, ont une conscience très élevée mais manquent de moyens pour mettre en uvre une politique sérieuse. Il faut aussi savoir que les représentations commerciales des pays exportateurs, dans les pays d’importations qui souhaitent assainir la situation, considèrent que le contrôle de la qualité des exportations depuis les pays qu’ils représentent revient à ériger des barrières techniques au commerce et s’y opposent. »
Malgré cela, le volume des échanges avec l’Afrique augmente et les partenaires commerciaux se diversifient. En Afrique de l’Ouest, la France a été rejointe par d’autres pays européens et, en Afrique centrale et australe, la Chine et Dubaï sont devenus des plates-formes importantes de distribution. « On dit souvent que l’Afrique va mal, mais elle connaît un fort taux de croissance, autour de 6 %, rappelle David Koechlin. Cela signifie que le commerce progresse, qu’il y a de plus en plus d’échanges et de transactions ! »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires