Poutine prépare l’après-Poutine

Le président russe, qui accueille le G8 du 15 au 17 juillet, quittera le pouvoir en 2008. En principe.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

En Russie, tout politicien qui se respecte se doit de maîtriser les subtilités du jeu d’échecs. Vladimir Poutine s’y emploie, à l’évidence, prévoyant plusieurs coups à l’avance, faisant permuter hauts fonctionnaires et ministres, divisant pour régner et préférant les diagonales aux lignes droites. Ce fatras d’agit-prop et de manuvres byzantines qui plonge les kremlinologues dans la perplexité correspond-il à un schéma tactique précis en vue de la présidentielle de 2008 ?
Première certitude : la Constitution de 1993 interdit à une même personne d’accomplir plus de deux mandats consécutifs à la tête de la Fédération de Russie. La dernière rumeur en date prête à Poutine l’intention de passer son tour cette fois-ci pour se représenter en 2012. Quoi qu’il en soit, ayant été élu deux fois, en 2000 et en 2004, il ne peut briguer un troisième mandat en mars 2008 à moins de modifier la Constitution. Une hypothèse qu’il a jusque-là écartée : « Je ne resterai pas éternellement au Kremlin », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il « ne serait pas judicieux d’apporter des changements radicaux » aux règles en vigueur. Mais comme il a également confié qu’il avait « son idée » et même « son mot à dire » sur l’identité du futur président, une seconde évidence s’impose : candidat ou non, Poutine entend verrouiller sa succession. Soit en mettant sur orbite un favori – le sien – de la même manière que lui-même fut adoubé, en 1999, par Boris Eltsine. Soit en faisant la preuve de l’incapacité des autres pour se poser en ultime recours.
« L’opération dauphin » menée en novembre 2005 peut servir l’une ou l’autre de ces stratégies. Elle s’est traduite par la promotion de deux prétendants, Sergueï Ivanov et Dmitri Medvedev, élevés au rang de vice-Premier ministre et de premier vice-Premier ministre. À charge pour Ivanov, qui conserve son poste de ministre de la Défense, de réformer une armée en déliquescence. Et, pour Medvedev, d’animer un vaste projet économique et social en vue d’améliorer le niveau de vie de la population.
Les deux hommes sont, comme Poutine, originaires de Saint-Pétersbourg. Leur amitié avec le président est ancienne. Elle s’est forgée dans les rangs de l’ex-KGB (pour Ivanov) et au sein de l’administration municipale (pour Medvedev). La comparaison s’arrête là. Ivanov incarne l’aile dure, celle des siloviki, partisans d’un État fort, d’une armée puissante et d’une société attachée à son identité slave. Juriste de formation, Medvedev, surnommé « le grand vizir » en raison de son accès direct au président, dont il a dirigé l’administration, est le chef de file des « pragmatiques européens ». Ces derniers sont, en réalité, bien plus opportunistes que chauds partisans d’un rapprochement avec l’Occident.
D’ailleurs, les différences idéologiques entre les deux camps ne sont rien comparées à la virulence de leur rivalité. Dans cette lutte pour le pouvoir, chacun dispose de ses sources de financement et de ses leviers d’action : la compagnie pétrolière Rosneft et le parti Rodina, nationaliste et xénophobe, pour les siloviki ; le géant Gazprom et l’organisation de jeunesse Nachi (« Les Nôtres ») pour les « pragmatiques ». Les coups volent bas, et nul n’hésite à « sortir » les affaires de corruption du camp adverse. En juin, Poutine a démis le procureur Oustinov de ses fonctions pour excès de zèle « prosilovikien » et lui a confié en contrepartie le ministère, plus prestigieux, mais aussi plus neutre, de la Justice.
Une punition suivie d’une récompense ? Question de survie et d’autorité : soucieux de contenir les ambitieux des deux clans, Poutine veille à leur donner des gages équivalents. Pour mieux s’imposer ensuite ?
De fait, Medvedev, homme de l’ombre et de réseaux, est aussi peu charismatique qu’Ivanov est populaire au sein de l’armée. À en croire un sondage réalisé en mai par l’institut Levada, ils recueilleraient respectivement 10,3 % et 7,2 % des intentions de vote. Les autres ne pèsent guère plus : Jirinovski, l’ultranationaliste délirant, obtiendrait 7,3 % des suffrages, le communiste Ziouganov 6,8 % et l’ancien Premier ministre Kassianov, reconverti au libéralisme, 1,3 %. Dans le même sondage, 59 % des personnes interrogées (contre 41 % en août 2005) se déclarent favorables à une réforme constitutionnelle pour permettre à Poutine de briguer un troisième mandat.
À 53 ans seulement, doté d’un appétit de pouvoir qui n’a rien perdu de sa férocité, le président est forcément tenté par l’aventure. Ce que confirment son emprise croissante sur les médias, la vigueur avec laquelle il a repris en main les « secteurs stratégiques » de l’économie et l’acharnement qu’il met à détruire ses rivaux potentiels. L’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, ex-patron de la société Ioukos, en fait l’amère expérience au fond de son bagne sibérien.
Autre victime de cette politique musclée, la rébellion tchétchène : la république caucasienne, brisée, vit désormais sous la férule de Ramzan Kadyrov, un tyranneau local inféodé à Moscou. Abdul Khalim Saïdoulaïev, successeur du président indépendantiste Maskhadov assassiné en 2005, a été abattu à son tour, le 17 juin dernier.
Alors qu’il s’apprête à accueillir, le 15 juillet, le sommet du G8, Poutine ne peut qu’être conforté, dans ses éventuels projets pour 2008, par la consolidation de ses positions à l’étranger. Blessés dans leur orgueil par la perte de leur influence internationale et le déclin des années 1990, les Russes sont particulièrement sensibles à ces progrès.
La flambée du prix des hydrocarbures permet à la Russie, premier exportateur mondial de gaz naturel et deuxième exportateur de pétrole, de retrouver une partie du lustre de la défunte URSS. Non seulement, elle rembourse ses dettes plus tôt que prévu (22,3 milliards de dollars au Club de Paris), mais elle se fait prier pour ratifier une charte de l’énergie dont les Européens espèrent qu’elle assurera la sécurité de leurs approvisionnements. En janvier dernier, la Russie avait en effet cessé ses livraisons de gaz à l’Ukraine, suscitant de vives inquiétudes dans les pays de l’Union européenne qui, atteints à leur tour, se découvraient soudain trop dépendants de Moscou.
Après les avanies subies lors des « révolutions » démocratiques ukrainienne ou géorgienne, on comprend que Poutine savoure sa revanche C’est donc avec un mépris tranquille qu’il a, début mai, sèchement répliqué au vice-président américain Dick Cheney après que ce dernier, en visite à Vilnius, lui eut adressé des leçons de morale démocratiques.
Et c’est avec tout autant d’assurance qu’il avance ses pions dans le débat national, mettant en avant les thèmes, qui, selon lui, devront être au centre de la campagne présidentielle : l’amélioration du niveau de vie, la réorganisation de l’armée, une politique nataliste pour enrayer le dramatique déclin démographique et la lutte contre la corruption. Pour montrer l’exemple en ce domaine, quelques prétendus ripoux – des généraux et des agents du FSB – ont été démis de leurs fonctions et un gouverneur se retrouve derrière les barreaux.
Le vent en poupe, c’est pourtant sans émotion apparente que Poutine a accueilli la proposition des députés de Edinnaïa Rossia (Russie unie), le parti progouvernemental, de devenir son nouveau dirigeant. Un hommage qu’il feint modestement d’ignorer, ?en attendant que les appels en faveur de sa candidature se multiplient dans le pays

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