Pour l’amour des femmes

Dans ce très beau texte d’Ali Bécheur, un écrivain confie ses souvenirs à une étrangère.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 2 minutes.

La nostalgie ne suffit pas à remettre un écrivain sur les chemins de l’enfance. Il lui faut une urgence, un compagnon de route à la hauteur, une écoute vigilante, bref, une histoire d’amour. Elle s’appelle Luz dans ?Le Paradis des femmes, de l’écrivain tunisien Ali Bécheur. C’est elle, Luz la bien nommée, comédienne étrangère de passage à Tunis, qui détient le sésame de la mémoire et avec qui s’ébranle, en même temps que l’aventure amoureuse, le voyage de l’auteur vers son passé.
Pourtant, cette femme n’a rien de la muse ancienne, encore moins de Shéhérazade ou de Pénélope. Elle ne raconte pas et l’on aurait du mal à l’imaginer immobile. Fille de son siècle, elle affiche une curiosité insatiable et une altérité sans faille. Elle interroge, visite l’ancienne vie de son hôte et se délecte du dépaysement.
Et, comme un enfant tente de séduire un adulte en lui ramenant divers objets qui lui tiennent à cur, Bécheur lui narre les joies et les chagrins de sa jeunesse, les figures aimées, les rites, les amitiés de naguère. L’émotion chevillée à son récit, il évoque son oncle imam, Ommi Khadija la conteuse, Odette ou Kenza, ses amours adolescentes, l’initiation des femmes mûres, entre désirs et interdits, dans la moiteur des siestes grenadines Et toujours, en arrière-fond, la rumeur d’une ville, Tunis, obstinément tournée vers la mer, cosmopolite, bruissant de ses idiomes étrangers et des appels réguliers de ses muezzins.
Pour autant, ce récit autobiographique échappe à la linéarité. Les souvenirs sont réfractaires à la chronologie et les personnages qui se bousculent ne sont jamais dans l’ordre. L’écriture de Bécheur ne se fait pas narcissique, non plus, tant elle est d’abord tournée vers le plaisir de partager et de faire aimer. Et si la nostalgie imprègne parfois le récit, Luz est là pour rappeler que le réel, c’est elle, que le passé ne saurait tout effacer, que la fulgurance du désir appartient à son temps à elle, le corps du présent.
Enfin, l’écriture hachurée et comme au galop de Bécheur, les phrases courtes et ciselées font souvent oublier la destination à rebours du voyage. Les réflexions sur l’amour, l’écriture ou la vie, tout simplement, ancrent l’épisodique dans la durée, l’individuel dans l’expérience collective et font de chaque séquence, en raison de l’écoute en filigrane de Luz, le plus brûlant des vécus. C’est dire que ce livre des choses révolues est aussi celui d’un futur à partager, celui de Luz, étrangère, issue d’autres lieux et d’une autre histoire. Offert à son écoute, Le Paradis des femmes en porte la touche, à la fois grave et douce, légère et profonde, authentique et universelle, somme toute si féminine. Huitième ouvrage d’Ali Bécheur, il a reçu en avril dernier le Comar d’or, une des plus importantes distinctions littéraires en Tunisie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires