Pluie de dinars sur la fonction publique

Abdelaziz Belkhadem, le nouveau Premier ministre, rompt avec la rigueur budgétaire de son prédécesseur en procédant à d’importantes revalorisations salariales.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Le président Abdelaziz Bouteflika a mis à profit la fête de l’Indépendance, le 5 juillet, pour annoncer, la veille, deux très bonnes nouvelles. D’abord, l’abrogation de toutes les condamnations pour diffamation, injure et offense aux institutions de la République prononcées contre des journalistes. Ensuite, une importante revalorisation des pensions de retraite et des salaires dans la fonction publique (1,5 million de salariés) à compter du 1er juillet.
Au mois de juin, Abdelaziz Belkhadem, le nouveau Premier ministre, avait annoncé que « l’augmentation des salaires ne sera pas symbolique ». De fait, après plusieurs semaines de négociations, le gouvernement et l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le principal syndicat, sont tombés d’accord, le 3 juillet, sur une revalorisation des salaires des fonctionnaires et des agents des institutions et administrations publiques comprise entre 25 % et 85 %. Les retraites et pensions d’invalidité d’un montant inférieur à 10 000 dinars (106 euros) seront elles aussi sensiblement majorées. Enfin, une nouvelle caisse de réserve va ?être créée de manière à assurer l’avenir des retraités lesquels représenteront environ 15 % de la population à l’horizon 2030.
L’opération va coûter très cher au Trésor public – environ 112 milliards de dinars (1,19 milliard d’euros) -, mais elle a été accueillie avec soulagement par des millions d’Algériens. « On va pouvoir manger de la viande une fois par semaine », plaisante Mourad, professeur d’anglais dans un lycée d’Alger. Depuis le début des années 1990, le pouvoir d’achat s’est en effet dramatiquement réduit. En dépit de la flambée des cours des hydrocarbures qui, depuis cinq ans, a permis d’engranger quelque 66 milliards de dollars de réserves de change, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia – « l’homme des sales besognes », comme il se définissait volontiers – s’est longtemps refusé, au nom de la rigueur budgétaire, à toute revalorisation des salaires. « Il est inconcevable d’utiliser inconsidérément les revenus des hydrocarbures pour répondre à des besoins, qui, même s’ils sont pressants, ne sont pas légitimes, contrairement à ce que prétendent certains responsables au sein de l’exécutif », expliquait-il au mois de janvier. Son successeur a donc totalement changé de cap et entrepris de mieux redistribuer la richesse du pays. Une nouvelle augmentation pourrait d’ailleurs intervenir à la rentrée de septembre.
La revalorisation de l’indemnité complémentaire de revenu (ICR) des fonctionnaires, des retraités et des pensionnés pour invalidité oscille entre 2 500 DA et 8 500 DA brut (de 26,5 à 90,30 euros). Chez les actifs, cinq secteurs sont concernés : l’enseignement supérieur, l’éducation nationale, l’intérieur (policiers, gardes communaux, etc.), la santé et les « corps communs » (psychologues, assistantes sociales, agents d’entretien, etc.).
Les travailleurs du privé devront quant à eux attendre les négociations tripartites qui, à la rentrée, réuniront les représentants du gouvernement, de l’UGTA et du patronat, pour être fixés sur le montant exact des augmentations salariales promises par le chef de l’État dans son discours du 25 juin devant les walis (préfets).
Reste qu’en dépit de leur importance ces augmentations ne devraient remédier que très partiellement à la situation de précarité dans laquelle se débattent de nombreuses familles. Selon une étude récemment publiée par l’UGTA, le budget mensuel d’une famille de sept personnes est, en moyenne, de 24 790 dinars (262 euros). Le salaire minimum étant fixé à 10 000 dinars (108 euros), on mesure l’ampleur du problème « Mal vie », chômage, crise de logement, hausse des prix du gaz et de l’électricité, injustices diverses (la fameuse hogra)… Toutes ces calamités finissent par menacer la paix sociale.
Les Algériens sont-ils vraiment sous-payés ? Abdelmadjid Sidi Saïd, le patron de l’UGTA, en est convaincu. « Il est incroyable qu’un enseignant ou un médecin du secteur public perçoive, en fin de carrière, un salaire compris entre 19 000 DA et 20 000 DA [un peu plus de 200 euros] », explique-t-il.
Père de deux enfants, Nabil est chauffeur dans une entreprise de transports en commun. Avec un salaire mensuel de 13 000 dinars (138 euros), il peine à boucler ses fins de mois. Un pantalon coûte en effet 2 000 DA, un kilo de poulet 250 DA, un kilo de viande 600 DA et une baguette de pain 10 DA. « Une fois les courses faites, il ne reste pas grand-chose, soupire-t-il. Pour pouvoir acheter une machine à laver, changer notre téléviseur, vieux de vingt ans, ou prendre des vacances, il faudrait gagner au loto. Mais cette augmentation va quand même améliorer l’ordinaire. » Les Algériens vont-ils enfin voir la couleur de l’argent du pétrole ?
Vice-président du Conseil national économique et social (CNES), Mustapha Mekideche est convaincu que les hausses salariales n’auront « aucune incidence fâcheuse sur les grands équilibres macroéconomiques du pays ». Mourad Medelci, le ministre des Finances, partage cet optimisme et ne croit pas une seconde, par exemple, à une relance de l’inflation et à une brutale augmentation des prix.
Si elle ne garantit pas à coup sûr la paix sociale, la nouvelle politique salariale devrait quand même placer le chef du gouvernement dans les meilleures conditions avant d’entreprendre l’autre mission qu’il s’est fixée : la révision de la Constitution, à l’automne prochain.

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