Ilhan Omar, Fatima Jibrell, Bouchra Baibanou… Ces musulmanes qui changent le monde
Dans un livre jeunesse joliment illustré par L.K Imany, la journaliste Élise Saint-Jullian dresse trente portraits de femmes musulmanes inspirantes et parfois méconnues.
Le curriculum vitae et les combats menés par la gynécologue tunisienne Tawhida Ben Cheikh et sa consœur somalienne Hawa Abdi sont au moins aussi impressionnants que ceux du Congolais Denis Mukwege en RDC, mais elles n’ont jamais reçu de Prix Nobel ni fait autant parler d’elles. La militante écologiste somalienne Fatima Jibrell a entamé sa lutte contre la déforestation près de vingt ans avant Greta Thunberg mais n’a jamais connu l’aura internationale de la jeune Suédoise.
Parce qu’elles étaient (trop) en avance sur leur temps ? Parce que ce sont des femmes ? Parce qu’elles ne sont pas occidentales ? Parce qu’elles sont musulmanes ? Sans doute un peu des quatre. Elles sont en tout cas aujourd’hui mises en lumière dans Musulmanes du monde, un livre jeunesse qui retrace les parcours toujours hors du commun, souvent méconnus, de trente femmes, dont douze africaines.
Aviatrice, alpiniste, résistante…
Si les femmes dans l’histoire ont été largement invisibilisées, le silence est d’autant plus assourdissant autour des musulmanes, constate la journaliste Élise Saint-Jullian, spécialiste des droits des femmes et de l’islam, elle-même convertie. « Il existe maintenant beaucoup de livres sur des femmes inspirantes, mais en ce qui concerne les musulmanes, cela se limite souvent à Malala [Yousafzai], ou, dans les ouvrages en arabe, à des figures qui vivaient au temps du Prophète. Je voulais que les jeunes puissent s’identifier à des figures plus contemporaines. » Ce n’est pas leur foi ou leur pratique qui définissent les personnalités rassemblées dans cet ouvrage mais « la façon dont elles changent le monde », précise la journaliste, fatiguée d’entendre parler des musulmanes dans les médias ou dans les maisons d’édition « toujours suivant le même angle : le voile, la soumission ou le paradoxe entre tradition et modernité ».
On (re)découvre dans ce livre les destins exceptionnels de Fatima al-Fihriya, fondatrice au IXe siècle de l’université el-Qaraouiyine de Fès, considérée par l’Unesco comme la plus vieille au monde, et de l’alpiniste marocaine Bouchra Baibanou, qui a bouclé en 2018 le Challenge des sept sommets (les plus hauts de chaque continent). Mais aussi ceux plus tragiques, de sa compatriote Touria Chaoui, première aviatrice du monde arabe, dont le meurtre à 19 ans, la veille de l’indépendance, n’a jamais été élucidé et celui de Lalla Fatma N’Soumer, résistante kabyle contre l’occupation française en Algérie, morte à 33 ans dans sa cellule.
« J’aurais tant aimé, étant plus jeune, avoir accès à un livre comme celui-ci pour avoir des modèles auxquels m’identifier, confie l’humoriste d’origine tunisienne Samia Orosemane, dans la préface. Il est difficile de se reconnaître dans les figures mises en avant par les médias quand on est jeune et issu d’une minorité. »
Ces portraits sont courts : on effleure juste l’immense héritage musical de l’Égyptienne Oum Kalthoum et la Si longue lettre de la féministe sénégalaise Mariama Bâ n’est qu’évoquée. Au risque de laisser les lecteurs sur leur faim ? Peut-être auront-ils au contraire envie d’aller plus loin. Et liront-ils – qui sait ? – les vers d’Emtithal Mahmoud, qui a fui le Darfour en guerre à l’aube de sa vie. « Ma mère et moi ne pouvons plus marcher seules dans la rue pour rentrer à la maison. À la maison, il n’y a plus de rues sur lesquelles marcher », déclame la poétesse dans Mama, grâce auquel elle a remporté les championnats du monde de slam et de poésie en 2015 à Washington.
Minorités persécutées
L’illustratrice L.K.Imany, architecte paysagiste de formation, a donné à chacune de ces femmes un visage, un regard, des couleurs pénétrantes. « Elles sont toutes dynamiques, en mouvement, avec une énergie et une personnalité propre », décrit-elle. Un exercice qui lui est déjà familier : sur son compte Instagram, elle trace les contours de combats de femmes, souvent issues des minorités, de Ndaté Yalla Mbodj, résistance sénégalaise pendant la colonisation française, à Aïssa Maïga aux Césars 2020, en passant par une série de jeunes femmes portant fièrement le hijab, comme elle.
Sans doute s’est-elle sentie particulièrement inspirée par le portrait de Ilhan Omar, première femme voilée et née en Afrique (à Mogadiscio) a être élue au Congrès américain, en 2018. La figure montante des jeunes démocrates a obtenu dès son arrivée le vote d’une modification du règlement intérieur qui interdisait depuis 181 ans de porter un couvre-chef au sein de la chambre des représentants. Et a prêté serment sur le Coran plutôt que sur la Bible.
Si cet ouvrage est avant tout destiné aux jeunes lecteurs, ceux qui liront par dessus leur épaule combleront sans nul doute quelques lacunes et ouvriront les yeux sur des combats essentiels. À commencer par celui des minorités ouïghoure et rohingyas, persécutées en Chine et au Bangladesh.
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