Le rêve brisé

Alpha Oumar Konaré a décidé de ne pas briguer un second mandat à la tête de l’UA. Pour l’ancien président malien élu il y a trois ans, comme pour l’organisation qu’il dirige, ce départ annoncé est à la fois un constat d’échec et un appel au sursaut.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

On le savait sentimental, orgueilleux et courageux. On soupçonnait un peu de fragilité et beaucoup d’ego sous sa carapace d’homme d’État. Mais nul n’aurait imaginé cela. C’est par une petite phrase, à la fois sobre et pathétique, ?qu’Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine (UA), a fait savoir le 1er juillet, lors de son discours d’ouverture du sommet de Banjul, qu’il ne briguerait pas en juillet 2007 un second mandat. « Au vu du rapport que je viens de vous soumettre, mon successeur trouvera les choses en marche, dans quinze mois. » L’avant-veille, devant les ministres des Affaires étrangères des pays membres, l’ancien président malien avait laissé poindre
sa lassitude : « Je dois dire que mon envie s’est émoussée » – un simple coup de déprime, avaient alors pensé les observateurs, voire, pour les moins charitables, un petit chantage sur l’air de « retenez-moi ou je fais un malheur » à l’intention des chefs d’État. Erreur. À 60 ans, après trois années frustrantes et épuisantes passées à gérer l’ingérable alors que s’effilochait au fil des mois son rêve d’une UA forte et fière, la décision « irréversible » de Konaré est tout sauf un coup de tête. Pour lui, et surtout pour une certaine idée de l’Afrique, elle sonne comme un constat d’échec.
Le fait que le départ annoncé du président de la Commission ait eu Banjul pour décor lui confère une allure quasi crépusculaire, tant ce sommet aura été celui des impuissances. De la Somalie au Darfour, de la Côte d’Ivoire à la RD Congo, les chefs d’État n’ont pu qu’observer leur récurrente incapacité à régler des crises ou des processus de sortie de crises, sur lesquelles seul le Conseil de sécurité de l’ONU semble être en mesure de peser. Impuissance physique donc, mais aussi morale. Un audit ravageur, révélant le détournement de près de 7 millions de dollars dans le cadre de la Conférence des intellectuels d’Afrique et de la diaspora, organisée par l’UA et tenue à Dakar en octobre 2004, a ainsi été étalé sous le nez des chefs comme une mangue pourrie. Quand on sait que la base du contrat proposé aux bailleurs de fonds par le tandem constitué de l’UA et de son pendant économique, le Nepad, était justement la bonne gouvernance librement consentie, l’État de droit et la fin de la corruption en sus, on mesure mieux l’étendue des dégâts. Même si Alpha Oumar Konaré n’est évidemment pas, à titre personnel, concerné par ce scandale – dont on attend avec curiosité et scepticisme les suites judiciaires -, il va de soi qu’il en assume une part du poids moral. Quant au Nepad lui-même, censé remplacer la débrouille générale et les stratégies individuelles qui tiennent lieu d’organisation économique panafricaine, même l’un de ses initiateurs, Abdoulaye Wade, paraît ne plus y croire. Aux yeux de la plupart des Africains il est vrai, ce « Nouveau Partenariat pour le développement » n’a jamais été autre chose qu’un marché de dupes, une chimère et un moulin à prières
L’affaire des surfacturations de la Conférence de Dakar a-t-elle joué un rôle de catalyseur dans la décision de Konaré de ne pas se représenter l’an prochain ? Même si le président de la Commission n’est pas l’ordonnateur du budget de l’UA – cette tâche est dévolue à son adjoint chargé de l’Administration et des Finances, le Rwandais Patrick Mazimhaka -, ce fric-frac lui a fait toucher du doigt l’une des faiblesses congénitales de sa fonction : il est entouré de commissaires qu’il n’a pas choisis, et il n’a pas de réels pouvoirs sur la bureaucratie de l’Union africaine. À cela s’ajoute une évidence financière : avec un budget annuel qui atteint péniblement les 60 millions de dollars et des arriérés de cotisation de l’ordre de 100 millions, la « machine » UA est un cyclomoteur qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Lucide, Alpha Oumar Konaré n’ignorait rien de ces obstacles structurels lorsqu’il a été choisi par ses ex-pairs pour s’installer sur le toit de l’Afrique. Pour les effacer ou pour les contourner, il comptait sur son propre volontarisme et sur le soutien politique de ceux qui l’avaient fait roi. Or, sur ce plan essentiel, le président de la Commission estime à mots à peine couverts qu’il a été lâché en rase campagne. Voire trahi.
Certes, Konaré n’est pas un martyr. L’un de ses problèmes – et sans doute l’une de ses erreurs – est de n’être jamais parvenu à trouver un équilibre entre son statut d’ancien chef d’État, la haute idée qu’il a de lui-même et son rôle de président de la Commission de l’Union africaine. Lui ne supporte pas, ou mal, d’être rabroué par un président de pays membre, rappelé à l’ordre par un ministre des Affaires étrangères qui lui demande de « faire bref », voire interpellé, comme ce fut le cas à Banjul, par un Ali Abdessalam Triki lui enjoignant de modifier un paragraphe sur le Sahara. Et eux, les chefs d’État en exercice, n’acceptent guère sa propension à dire le droit, rappeler les principes, dispenser quelques leçons et se raidir dans sa posture d’autorité morale. À la base, une ambiguïté fondamentale. Aucun de ceux qui ont poussé Alpha Oumar Konaré à prendre le poste, y compris ses parrains Kadhafi, Mbeki, Obasanjo et Bouteflika, n’envisageaient – consciemment ou pas – qu’il soit autre chose qu’un simple secrétaire général de l’OUA. Et c’est bien évidemment sur le terrain de la démocratie que s’est joué, ces dernières années, ce combat du pot de terre contre le pot de fer.
Contredit par Olusegun Obasanjo sur le dossier de la succession dynastique au Togo, combattu par les chefs d’État d’Afrique centrale à propos du coup d’État de François Bozizé en Centrafrique, critiqué par ceux d’Afrique de l’Ouest pour son refus de reconnaître le nouveau pouvoir en Mauritanie, Konaré s’est rapidement retrouvé isolé sur tous les dossiers tendant à faire évoluer l’État de droit en Afrique. Son schématisme, son angélisme, parfois, et son manque de souplesse ont certes joué un rôle dans ce malentendu. Mais avait-il tort de prôner la limitation des mandats présidentiels ? Avait-il tort de vouloir bannir toute tentative de modification des Constitutions en ce sens ? Certes non. À cet égard, la décision des participants au sommet de Banjul de reporter l’examen de la « Charte sur la démocratie et la bonne gouvernance », débattue à Brazzaville il y a un mois sous l’égide de l’UA, est plus qu’un désaveu. La preuve par quatre que, pour la majorité des chefs d’État africains, la démocratie n’est toujours qu’une simple procédure imposée par les bailleurs de fonds, un kit institutionnel dont on dispose sur commande, pas (ou pas encore) une culture. Significatives furent d’ailleurs les réactions – ou plutôt l’absence de réactions – des excellences présentes dans la capitale gambienne après l’annonce du désistement programmé de Konaré. Nul n’est venu le prier de revenir sur sa décision et chacun y est allé de son éloge en forme d’oraison funèbre. Pendant l’année qui lui reste et alors que les grandes manuvres pour sa succession ont déjà commencé, le président de la Commission expédiera donc les affaires courantes, sur fond de démobilisation générale. Avec lui et même si de Cotonou à Nouakchott en passant – tout au moins peut-on l’espérer – par Kinshasa, la démocratie progresse dans certains pays, compensant en cela les régressions observées ailleurs (notamment en Éthiopie, où siège l’UA), c’est une certaine conception du panafricanisme à l’heure de la mondialisation qui s’efface. Nul n’est prophète en son continent

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