« Le football aux footballeurs »

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

Avec les programmes PAF, Goal et « Gagner en Afrique avec l’Afrique », vous avez, depuis votre accession à la présidence de la Fifa, lancé une sorte de plan Marshall à destination des fédérations africaines. Est-ce le meilleur moyen de venir en aide au football du continent ?
Joseph S. Blatter : Ces trois programmes ne sont pas des projets à court terme, mais bien des outils de développement du football inscrits dans la durée. La Fifa assure un suivi permanent des infrastructures réalisées. Elle participe aussi à la formation des cadres qui en ont la gestion. Notre objectif est de donner à l’Afrique tous les moyens de se prendre en charge dignement. La philosophie de nos programmes intègre la notion de durabilité.
À l’occasion de la 38e session ordinaire du comité exécutif du Conseil supérieur du sport en Afrique (CSSA), Yahia Guidoum, le ministre algérien de la Jeunesse et des Sports, qui préside actuellement le CSSA, a dénoncé « la position inique, unilatérale et expéditive de la Fifa à l’endroit de certaines fédérations nationales de certains pays africains, dont l’Algérie ». Le leader libyen Mouammar Kadhafi, considère, lui, la Fifa comme un organe opaque au service des intérêts de quelques-uns et le football comme la source de bien des fléaux comme le racisme, la corruption ou l’esclavage moderne. Les relations ne semblent pas s’améliorer entre vous et un certain nombre de pays africains
Soulignons d’abord que la Fifa respecte évidemment la souveraineté des États. Mais en autorisant leur fédération à rejoindre notre institution, ces derniers acceptent aussi de limiter le pouvoir dont ils disposent sur leur football. Personne n’est contraint d’adhérer à la Fifa et donc d’en respecter les principes et d’en suivre les décisions. En outre, les compétences ne doivent pas être confondues. Le foot doit être géré par les gens du foot et non par les politiques, qui ont d’autres objectifs. Tout se passe bien du reste dans la majorité des pays. Il n’y en a que peu où les ministres des Sports ne réalisent pas qu’ils ne sont pas « ministres du Football ».
Les fléaux dénoncés par Mouammar Kadhafi ne trouvent pas leur origine dans le football, mais dans nos sociétés. Le racisme n’est pas « dans » le football, mais « autour » du football. J’ajouterais même que le foot est un exemple d’intégration. Ce qui n’empêchera pas la Fifa de poursuivre sa lutte contre cette dérive. Nous avons récemment frappé fort pour bouter le racisme hors des stades et nous allons continuer aussi longtemps qu’il le faudra pour l’éradiquer. Enfin, comment Mouammar Kadhafi peut-il nous accuser d’esclavagisme avec les joueurs africains, alors qu’en organisant la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud nous manifestons notre attachement à ce continent et à son football ?
La Fifa exige plus particulièrement des fédérations nationales démocratie et bonne gouvernance. Ces pratiques sont-elles exportables ?
Depuis trois ans, nous faisons un énorme effort de réorganisation des fédérations sur tous les continents : indépendance, élections, refonte et démocratisation des statuts, élimination des dirigeants malhonnêtes, association des acteurs du foot aux mécanismes de décision, etc. Tout n’est pas parfait, mais les progrès sont notables.
À plus ou moins long terme, envisagez-vous de faire réviser les statuts de la Fifa dans le sens d’une plus grande démocratisation (rotation entre les continents à la tête de l’organisation, limitation des mandats du président et des membres du comité exécutif, parité entre les continents au CE) ?
Depuis sa fondation en 1904, la Fifa s’adapte régulièrement pour épouser les évolutions du football. Ainsi l’Afrique y a-t-elle gagné la place qu’elle mérite. De futurs amendements sont, par conséquent, envisageables. La démocratie au sein de la Fifa, elle, est déjà forte et vivante. L’équation « une fédération égale une voix au congrès » en est la meilleure illustration. Mais je ne suis pas en faveur de la rotation. Je préfère que le candidat en qui le congrès se reconnaît l’emporte, quelle que soit son origine géographique. Je suis également opposé à la limitation des mandats. Pourquoi se priver d’un président compétent à partir du moment où le congrès peut en changer quand il le juge opportun ?
D’un côté, vous menez une lutte sans merci contre le racisme dans le foot. De l’autre, vous êtes en faveur de l’identité locale, régionale ou nationale au sein des clubs et avez critiqué ceux qui disposent d’une ossature à forte dominance étrangère. Vous avez même proposé que soit instaurée la règle du 6 (nationaux) + 5 (étrangers). Pour l’organisateur de spectacles sportifs qu’est la Fifa, le talent ne compte donc pas plus que les passeports ?
Il n’y a aucune contradiction. Dans le football européen, le nombre moyen de joueurs étrangers s’élève à 45 % alors que ce chiffre n’atteint que 8 % à 9 % au sein de la population de l’Union européenne. Le football est donc très en avance sur ce plan. En fait le « 6+5 » vise à rééquilibrer le niveau entre les clubs, les plus riches – ou présumés tels – privilégiant le recrutement des meilleurs joueurs de la planète au détriment de la formation des jeunes, du travail à long terme et finalement de l’incertitude de la compétition.
Pourquoi les chaînes de télévision nationales d’Afrique du Nord n’ont-elles pas eu droit à la gratuité des images du Mondial 2006, comme le reste du continent (sauf en Afrique du Sud) ? Pourquoi la Fifa a-t-elle négocié un contrat avec un opérateur privé propriétaire d’une chaîne à péage ?
La Fifa n’a pas négocié directement les droits de retransmission avec les diffuseurs, mais a confié cette tâche à la société Infront Sports & Media. Pour la Coupe du monde 2010, l’obligation de sous-licencier des matchs en clair (avec 22 matchs définis à l’avance) améliorera très sensiblement la situation. Rappelons toutefois que l’Asbu (Union de radiodiffusion des États arabes) a répondu à l’appel d’offres pour 2010, mais qu’elle a perdu.
La périodicité de la Coupe d’Afrique des nations (tous les deux ans) ne complique-t-elle pas les relations entre les joueurs sélectionnés, presque tous expatriés, et les clubs qui les emploient ? Pour 2010, la Fifa reconduira-t-elle avec la Confédération africaine de football (CAF) la formule des éliminatoires jumelés ?
Cette périodicité crée des complications, c’est certain. Mais elle est essentielle au développement du football africain et de ses infrastructures. Je sais que la CAF travaille à atténuer les contraintes de calendrier que posent actuellement les dates de la CAN 2008 au Ghana. Il serait prématuré de s’avancer sur le format de la compétition préliminaire de la Coupe du monde et de la CAN 2010. Néanmoins, la formule combinée retenue pour 2006 a trouvé un écho très favorable à tous les niveaux
Vous êtes candidat à votre propre succession en 2007. Le soutien unanime des 53 associations nationales africaines ne devrait pas vous faire défaut
À la fin du 56e congrès de la Fifa, qui vient de se tenir à Munich, j’ai exprimé ma volonté de me présenter pour un troisième mandat. Je veux poursuivre le travail positif réalisé au niveau de la mission principale de l’institution : l’organisation de compétitions internationales, le développement et la protection du jeu, la défense des fédérations. Mais je souhaite également ouvrir trois chantiers majeurs pour la période 2007-2011. D’abord mieux protéger les valeurs du football en traduisant par des actes les conclusions de la task force « For the good of the game », que j’avais moi-même mise en place après approbation du congrès de Marrakech en 2005. Ensuite, moderniser encore nos structures, aussi bien au sein des fédérations que de la Fifa. Enfin assumer pleinement la responsabilité sociale du football dans le monde. À notre devise « améliorer le jeu et le porter au monde », nous ajouterons désormais : « afin d’en faire un monde meilleur ». Le projet « Gagner en Afrique avec l’Afrique » est le symbole de cette nouvelle approche. J’espère qu’elle sera partagée par les 53 fédérations africaines ainsi que par l’ensemble des associations membres de la Fifa.

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