Le choc doux des cultures

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 2 minutes.

On parle souvent du choc des cultures. Choc ! Le mot fait peur : il évoque des chevaliers portant de lourdes armures se heurtant avec fracas ; on pense aux croisades, à des massacres, à des combats sans merci ; on pense à l’Irak et à l’Afghanistan… Cependant, il y a aussi le choc doux des cultures, c’est-à-dire des petits incidents, qui sont difficiles à comprendre si l’on n’est pas soi-même entre les deux cultures. En voici un exemple récent. Un jour, un ouvrier marocain, qui travaille dans un garage à Amsterdam, est renvoyé par son patron. L’ouvrier prend ses affaires et s’en va, sans dire un mot. Mais le lendemain, il sonne à la porte de la maison de son ex-employeur. Celui-ci ouvre la porte, et il a la surprise de voir l’ouvrier avec un bébé dans les bras. L’ouvrier dépose avec précaution le bébé sur le seuil et au grand Hollandais éberlué, il dit :
– al ar !
Alors, al ar c’est difficile à traduire, ça veut dire à peu près opprobre. Mais, en fait, le mot signifie dans ce contexte : « Regarde, j’ai un bébé à nourrir, je le mets entre tes mains, honte sur toi, opprobre, si tu ne changes pas d’avis, si tu ne me rends pas mon job. »
C’est une scène à la fois triste et comique, qui illustre parfaitement ce que j’appelais le choc doux des cultures. Parce que l’ouvrier marocain, qui ne parle pas le néerlandais, ne cessait de répéter, en désignant du doigt l’enfant :
– al ar ! al ar !
Alors que son patron, qui ne connaît pas cette tradition arabe, croyait que al ar c’était le prénom du bébé. Il finit par refermer la porte, un peu étonné, non sans dire :
– Tu as un joli bébé, Ahmed. Au revoir.
Un autre exemple de choc doux des cultures, c’est une histoire qui s’est passée il y a très longtemps, il y a presque vingt ans. On se souvient peut-être que l’équipe de football d’Algérie avait battu le onze marocain chez lui par 5-1. Ce fut un traumatisme national dont on parle encore. Le lendemain, le capitaine de l’équipe algérienne, avant de rentrer à Alger, se rend dans le bazar de Casablanca pour acheter une veste en cuir. Le footballeur choisit la plus belle veste et puis il se dirige vers le patron, pour payer. Le commerçant le reconnaît et alors que fait-il ? Eh bien, il refuse de prendre l’argent et insiste pour lui offrir la veste.
Quand je raconte cette histoire à des amis anglais ou hollandais, ils n’y comprennent rien. Ils s’attendent au contraire à ce que le commerçant, dont l’équipe de football a été écrasée la veille par les coéquipiers de son client, va chasser celui-ci de son échoppe, ou au moins il va lui faire payer la veste le double de son prix. Ils projettent leur propre comportement vis-à-vis de footballeurs allemands qui auraient écrasé la veille leur propre équipe nationale.
Quand je leur révèle la conclusion de l’affaire, la veste gracieusement offerte, ils n’y comprennent rien. Et moi, je comprends, mais je ne peux pas leur expliquer. C’est ça aussi, le choc des cultures. Le choc doux des cultures

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