La guerre aux civils

Ne pouvant plus utiliser de boucliers humains, Tsahal envoie ses bulldozers à l’assaut des foyers.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Il y a neuf mois, la Cour suprême israélienne interdisait à l’armée de se servir des civils comme boucliers humains lors des raids pour arrêter les combattants palestiniens. Il y a trois semaines, le journal israélien Haaretz expliquait que les conséquences de cette loi mettaient finalement davantage en danger les civils palestiniens. Au lieu de les investir pour trouver les hommes recherchés, les soldats démolissent les maisons avec des bulldozers. Le gouvernement impose à l’armée de respecter les lois de la guerre protégeant la vie des civils et leurs droits. Parallèlement, les officiers se doivent de protéger leurs propres soldats. Deux impératifs difficilement compatibles.
Dans les années 1980 et 1990, j’étais réserviste dans l’infanterie en Cisjordanie. Il arrivait que ma compagnie soit chargée d’arrêter un terroriste. Sous la direction d’un agent du Shin Bet (les services intérieurs), nous procédions à l’encerclement avant de prendre d’assaut la maison où l’homme se terrait.
Il arrivait qu’un Palestinien nous aide. Nous le surnommions « le guide », parce qu’il nous accompagnait à l’intérieur de la maison et identifiait l’homme recherché. Un collaborateur palestinien servant la cause israélienne en quelque sorte. La plupart de mes amis détestaient participer à ces opérations. Nous devions cerner et pénétrer par effraction dans la maison après minuit, réveillant tous ceux qui s’y trouvaient. Les femmes criaient, les enfants pleuraient. Souvent, l’homme qui nous intéressait, prévenu, avait déjà déguerpi. Quand nous le trouvions, il était armé et dangereux. La présence du « guide » rassurait certains d’entre nous. On imaginait que le terroriste déposerait son arme pour ne pas risquer de toucher un Palestinien.
Nous avons utilisé des civils palestiniens pour d’autres tâches. Lorsque des gamins installaient une barricade sur la route pendant la nuit, nous arrêtions les premiers venus et leur ordonnions de la détruire. Une forme de représailles collectives, mais qui avait aussi pour but de nous protéger. Si en effet la barricade était piégée, les Palestiniens se blessaient. Je trouve écurant de se servir des civils pour nous protéger. Nous n’avions pas le droit de mettre la vie de quelqu’un en danger pour protéger la nôtre. À l’occasion, j’ai exprimé mes réserves, mais en vain.
Au cours des années suivantes, le « guide » et les autres civils ont été utilisés pour des tâches encore plus contestables : en tant que boucliers humains. Les soldats qui devaient assaillir une habitation ou contrôler un dangereux tronçon de route se protégeaient derrière un civil. Cette pratique devient plus fréquente en avril 2002, quand Israël occupe à nouveau la Cisjordanie en réponse aux vagues d’attentats-suicides et actes de violence à l’encontre des civils israéliens.
En août de la même année, un Palestinien du nom de Nidal Abou Mohsen, utilisé comme bouclier humain, est tué. Les organisations israéliennes des droits de l’homme intentent un procès pour faire cesser de telles pratiques, et, en octobre dernier, la Cour suprême s’est prononcée dans ce sens. Cette décision en a choqué plus d’un au sein de l’armée. On a eu l’impression qu’on enlevait aux officiers le moyen de protéger leurs soldats. Mais la morale en temps de guerre n’est pas un principe abstrait. Plutôt un élément constitutif de la force militaire. Elle est également essentielle pour l’État qui envoie son armée au combat. Si la sécurité des soldats devient le seul critère pour définir les missions, les soldats n’auront plus le courage de prendre des risques. Il n’est donc pas déraisonnable – c’est même essentiel – qu’un État attende de son armée qu’elle agisse moralement, même si le prix à payer est davantage de soldats tués. Mais parfois, l’interdiction de certaines pratiques moralement contestables ouvre la voie à d’autres abus. Une fois le recours aux boucliers humains banni de l’armée, cette dernière a dû trouver une nouvelle façon de débusquer les guérilleros palestiniens de leur cachette. D’où les bulldozers. Bien entendu, cette méthode est beaucoup plus dangereuse pour la famille concernée.
Israël ne peut cesser de traquer ses ennemis. Peut-il le faire sans détruire à coup de bulldozers les maisons qui les abritent ? Sans doute. Prendre d’assaut une habitation est une opération dangereuse, mais de bons renseignements, une organisation efficace et une exécution méthodique peuvent, dans la plupart des cas, réduire raisonnablement le risque. Si le risque s’avère trop important, l’opération doit être annulée ou reportée en attendant une meilleure opportunité. D’un point de vue purement militaire, ignorer la présence des civils faciliterait la tâche de l’armée sur le champ de bataille. Mais elle ne peut le faire. Et, en vérité, je n’ai jamais rencontré de soldat qui pense pouvoir mutiler et tuer des civils en toute impunité. En évitant l’utilisation des bulldozers, on provoque la fuite de quelques terroristes et évidemment la mort de plus de soldats. Au final, Israël et ses soldats ne seront pas moins en sécurité. Ils resteront en position de force, et c’est la meilleure sécurité qu’ils puissent avoir.

*Auteur de Company C : an American’s Life as a Citizen-Soldier in Israel.

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