La fatwa des oulémas

Les autorités religieuses ont tranché : une femme ne peut conduire la prière du vendredi. Mais la polémique n’est pas close.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Ahmed Taoufiq, le ministre marocain des Habous et des Affaires islamiques, ne cesse de le répéter : l’imamat est strictement réservé aux hommes. Alors qu’un vent de modernité souffle sur le royaume chérifien depuis la sortie, au mois d’avril, de la première promotion des morchidate (« guides » au féminin), cette prise de position a quelque peu douché l’enthousiasme ambiant. Mais elle ne met pas un terme – bien au contraire – à la controverse suscitée par certains organes de presse étrangers qui avaient affirmé que les jeunes prédicatrices pouvaient diriger la prière.
En mars 2005, une certaine Amina Wadud, professeur d’études islamiques à l’université de Virginie, avait défrayé la chronique en dirigeant une prière devant une assemblée mixte, à New York. Aujourd’hui, le débat rebondit au Maroc, jusqu’au sein du ministère concerné. Ahmed Abaddi, son directeur des Affaires islamiques, juge en effet que rien n’interdit à une femme de diriger la prière. À l’appui de sa thèse, il cite le cas de la Pr Rajaa Naji Mekaoui, qui anima en novembre 2005 une causerie religieuse devant le souverain, ce qui, de facto, faisait d’elle une alema (« savante »). Dans un pays où la religion reste le fondement de la légitimité politique, toute cette agitation n’est évidemment pas sans conséquence.
Pour tenter de calmer les esprits, Ahmed Taoufiq a, le 25 mai, demandé au Conseil supérieur des oulémas de trancher la question par le biais d’une fatwa : selon le rite malékite en vigueur dans le royaume (et dans tout le Maghreb), une femme est-elle, oui ou non, habilitée à conduire la prière ? La réponse est tombée, dès le lendemain : c’est non. Une telle diligence laisse à penser que, pour le Conseil, la question ne s’est jamais vraiment posée. Sur quels arguments fonde-t-il sa fatwa ?
Le premier est qu’une femme imam contraindrait à modifier le rituel de la prière, puisqu’elle serait placée devant l’assemblée des fidèles, et non plus à l’arrière, avec ses surs. Bref, elle ne serait plus à sa place. Le deuxième est qu’une femme a l’obligation de prier à voix basse, sa voix étant réputée « lascive » et donc source de tentation. Plus généralement, il lui est interdit d’élever la voix en présence d’un homme, hormis son mari ou l’un de ses proches. Le troisième argument est historique : jamais, depuis quatorze siècles, une femme n’a prononcé le sermon du vendredi ou dirigé la prière des hommes. La fatwa va même plus loin puisqu’elle interdit à une femme de « guider » qui que ce soit, hommes ou femmes, lors d’une prière obligatoire ou surérogatoire.
On l’aura compris : les cinquante morchidate marocaines devront se contenter d’enseigner et d’expliquer le Coran et les hadiths dans les mosquées, les associations et les prisons du royaume, sans pouvoir accéder à la fonction d’imam. Pourtant, si on se réfère aux textes, nul verset du Coran n’interdit aux femmes de diriger la prière. Seule une sourate intitulée Le Vendredi évoque d’ailleurs la prière hebdomadaire dans trois versets (9, 10 et 11), mais elle reste muette sur les conditions requises pour devenir imam. La tradition est-elle un argument suffisant pour justifier une interdiction ?
La grande majorité des musulmans, à l’instar du très influent cheikh al-Qardawi – prédicateur sur la chaîne qatari Al Jazira -, en sont, semble-t-il, convaincus, mais des voix discordantes s’élèvent néanmoins, qui démontrent que ce consensus n’est qu’apparent. Grand mufti d’Égypte, le cheikh Ali Jomaa estime ainsi que l’interdiction tombe d’elle-même dès lors qu’il se trouve des hommes acceptant de prier sous la conduite d’une femme. Entre réformateurs et conservateurs, la controverse est donc loin d’être close.
En attendant, les jeunes prédicatrices formées à l’école des imams de Rabat vont être surveillées de très près. Des fois que l’envie les prendrait de quitter « le droit chemin et la voie de la sagesse », pour reprendre les termes de la fatwa, et de conduire la prière à la place d’un homme

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