Mali-Tchad : le deux poids, deux mesures de la communauté internationale
Si le récent coup d’État au Mali a été unanimement condamné, au Tchad, la prise du pouvoir des militaires après le décès du président Idriss Déby Itno n’a pas suscité le même émoi. Un paradoxe embarrassant.
Deux coups d’État, deux réactions différentes. Incohérence de la communauté internationale, nous dit-on. Par la force des choses, la « communauté internationale », en Afrique francophone, c’est souvent la France. Et même portée par un président adepte du fameux « en même temps », sa réaction aux coups de force tchadien et malien était particulièrement illisible.
Discrimination française
S’agissant du Tchad en effet, tout en déplorant, après le décès d’Idriss Deby Itno, « la perte d’un ami courageux et d’un partenaire fiable qui a œuvré sans relâche pour la sécurité de son pays et la stabilité du Sahel », Paris a cependant exprimé son « ferme attachement à la stabilité et à l’intégrité territoriale du Tchad ». En clair, soutien à la junte. Pour ce qui est du Mali, il a « réitéré », à la fin de mai, après le deuxième coup de force de la junte, « sa ferme condamnation du coup d’État ayant abouti à la démission forcée du président Bah N’Daw et de son Premier ministre le 26 mai dernier ».
On imagine le colonel Assimi Goïta se demandant ce qu’il avait bien pu faire pour mériter pareille discrimination de la part d’une France qui s’est en outre empressée de saluer « la suspension [de son pays] des institutions de la Cedeao » et, au début de juin, d’interrompre, « à titre conservatoire et temporaire », sa coopération militaire bilatérale avec le Mali.
Quelques jours après cette suspension, le président Macron annonçait une redéfinition de l’opération Barkhane qui, même si elle répond à des enjeux structurels et de politique intérieure française, peut difficilement être interprétée comme un soutien de la France au Conseil national de la transition malienne.
Entre démocratie et stabilité
La question de fond est celle de l’arbitrage entre démocratie et stabilité. D’un côté, les classes urbaines et connectées d’Afrique francophone réclament le « respect des normes démocratiques », là où, au-delà des condamnations symboliques, des admonestations de principe et des formules rhétoriques, les institutions régionales et continentales, ainsi que les principaux partenaires internationaux de l’Afrique, prônent, la « stabilité ». D’ailleurs, Jeune Afrique ne s’y est pas trompé, qui, dans un article du 30 mai expliquant les enjeux de la réunion des chefs d’État de la Cedeao à Accra, après le deuxième putsch du colonel Assimi Goïta, indiquait que « si les termes [du communiqué final] peuvent paraître fermes, l’option choisie est clairement celle de la reconnaissance de l’état de fait ».
L’idée est assez simple : d’un côté, il faut éviter de donner l’impression d’une normalisation des putschs qui pourraient faire tache d’huile. En ce sens, brandir l’étendard de la « démocratie » est opportun. De l’autre, la perspective d’une instabilité politique prolongée, dans des pays et des régions considérablement fragilisés sur le plan sécuritaire, est une pilule amère pour la « communauté internationale ». Concilier ces deux impératifs consiste donc à promouvoir les « normes démocratiques » dans les mots, pour mieux s’en éloigner dans les faits.
Pouvoirs incompétents
Mais en réalité, arbitrer entre « démocratie » et « stabilité » est problématique. La « démocratie » est censée être supérieure aux autres modèles de gouvernement précisément parce qu’elle apporte, par sa nature même, la stabilité. Et, donc, loin d’être incompatibles, « démocratie » et « stabilité » sont supposées être indissociables dans la mesure où l’une résulterait de l’autre. Pourtant, un coup d’œil à la situation politique des pays les plus ostensiblement démocratiques suffit à nuancer très sérieusement cette idée.
La stabilité ne procède donc pas nécessairement de la démocratie. Pour autant, ce constat n’invalide pas la demande de démocratie qui, en Afrique francophone, traduit surtout une profonde aspiration à ce qu’il est convenu d’appeler « la bonne gouvernance » : des services publics qui fonctionnent, l’absence de corruption, une justice équitable, des opportunités économiques, le respect de toutes les composantes de la population.
Tôt ou tard, un ordre alternatif prospère sur le terreau du nihilisme.
L’on ne compte plus les rapports qui établissent un lien de causalité entre mauvaise gouvernance et expansion du terrorisme, en particulier dans les zones rurales de nos pays. Dans ces zones où l’État est absent, défaillant, incompétent, la misère se répand, le désespoir s’installe, les conflits se développent. Tôt ou tard, un ordre alternatif prospère sur le terreau du nihilisme.
Les promoteurs de la « stabilité » n’ont pas nécessairement tort. Sans elle, rien n’est possible. Le problème est que, trop souvent, elle n’a aucun ancrage démocratique. Elle manque de légitimité. Dès lors, les pouvoirs qui en sont issus n’ont parfois d’autre choix que d’asseoir leur légitimité par la violence – violence d’autant plus incontournable que ces pouvoirs prétendument stabilisateurs sont souvent incompétents.
Or, si les processus démocratiques sont parfois porteurs d’instabilité, l’aspiration des peuples à la maîtrise de leur destin ne peut être ignorée, et, au moins sur le papier, la « légitimité démocratique » est l’un des meilleurs remparts contre l’instabilité politique.
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