Riad Sattouf : « Il ne faut pas laisser l’enseignement de l’arabe aux islamistes »
En pleine écriture du dernier tome de « L’Arabe du Futur », l’auteur de bande dessinée aborde son rapport à sa double culture, héritée d’une enfance passée entre la France et la Syrie.
« Je m’appelle Esther et j’ai 15 ans ». À nouvelle année, nouveau Tome des Cahiers d’Esther, la série de Riad Sattouf. La jeune adolescente, dont les aventures sont racontées chaque semaines dans les colonnes du magazine français L’Obs, livre dans un album sorti le 10 juin sa version d’une année sous le signe du masque et du gel hydroalcoolique.
La prochaine sortie attendue du bédéiste franco-syrien est le nouveau volet de L’Arabe du futur, autre série à succès. Plus personnelle, celle-ci raconte la vie du jeune Riad Sattouf, balloté entre la France et la Syrie, entre « un père islamiste et un grand père obsédé sexuel », comme il l’affirme lui-même. JA est allé à la rencontre de l’auteur, en pleine écriture de ce sixième et dernier opus.
Jeune Afrique : Dans le dernier tome des Cahiers d’Esther, celle-ci a 15 ans. Dans le dernier tome de L’Arabe du futur, Riad a entre 14 et 16 ans. Êtes-vous en train de revenir au thème de l’adolescence ?
Riad Sattouf : J’ai commencé l’écriture des Cahiers d’Esther au moment où je travaillais sur le tome 2 de L’Arabe du Futur et je ne me suis pas rendu compte tout de suite qu’inconsciemment, j’avais mis en parallèle les âges. En faisant les calculs, on se rend compte qu’Esther a suivi le personnage de L’Arabe du futur au fil des années. Mais mon esprit a préparé ça tout seul, c’était inconscient.
Vous pensez que les personnages d’Esther et de Riad se seraient entendus dans la vraie vie ?
Non pas vraiment… Peut-être un peu plus maintenant… Esther est une jeune fille assez populaire, elle a une vie sentimentale alors que le personnage de Riad avait une vie sentimentale avec le diable !
Vous réalisez les planches des Cahiers d’Esther à partir d’anecdotes qu’une jeune fille vous raconte. Auriez-vous accepté de vous confier de cette manière à un auteur ?
Je pense que ça m’aurait fait marrer de participer à un tel projet. J’aurais accepté : j’en aurais profité pour dire tout le mal que je pensais de certaines personnes, pour raconter les injustices.
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Sur l’antenne de France Culture, vous avez confié en mai dernier que votre madeleine de Proust à vous, c’est la galette bretonne. Est-ce que cela est représentatif de votre rapport à votre double culture ?
Je pense plutôt que c’est représentatif de mon rapport obsessionnel avec la nourriture. Une galette bretonne, ça plairait à n’importe quel Syrien. Dans ma façon de penser, je n’ai absolument pas de réflexe identitaire. Je ne vénère pas mes origines, je ne réfléchis pas tout le temps à d’où je viens. Je ne me sens absolument pas syrien, comme je ne me sens absolument pas breton. J’ai l’impression d’être une somme d’expériences. Lorsque j’étais enfant, je n’avais aucunement envie de me définir comme syrien en Bretagne, de la même manière que je n’avais aucunement envie de me définir comme français en Syrie.
Mon identité, c’est auteur de livres ! Je me suis intéressé à la vie d’artistes que j’admirais. Je voulais voir s’ils étaient passés par les mêmes affres que moi, s’ils avaient galéré. Je voulais appartenir à ce peuple-là. Pour moi, l’action génère l’identité, pas l’origine ou le hasard de l’existence.
Je fais toujours attention à ne pas faire des généralités sur les arabes, sur la Syrie
Vous avez évoqué lors d’une précédente interview la possibilité de réapprendre l’arabe. Avez-vous toujours ce projet ?
J’aimerais beaucoup, mais je n’ai pas vraiment le temps, hélas… Dans le village où j’habitais en Syrie, on parlait un dialecte. Je n’ai jamais vraiment parlé l’arabe littéraire. Si je devais m’y remettre aujourd’hui, je repartirais de zéro. D’autant plus qu’enfant, mon vocabulaire devait être très restreint : je ne me rappelle pas avoir eu de grandes discussions philosophiques avec mes cousins.
L’arabe est une langue absolument magnifique. Quand je la parlais, je ne réfléchissais pas de la même manière. J’étais stupéfait de l’effet que cela faisait au cerveau, j’adorais ça. La présence d’autres sons comme le غ (rhayn), le ذ (dhal), le ض (ḍād), qui traduisent des sons qui n’existent pas en français, provoque forcément l’activité dans d’autres zones cérébrales. C’est peut-être romantique de dire cela mais je me sentais relié à quelque chose de très ancien. Je trouve cette langue extrêmement classe aussi, elle impressionne beaucoup.
Qu’avez-vous pensé des débats sur l’apprentissage de l’arabe en France ?
Je trouve cela super de pouvoir apprendre sa langue d’origine. Si vous êtes d’origine portugaise ou arabe et que vous voulez apprendre le portugais ou l’arabe, il faut que l’école vous le propose, c’est essentiel.
Sinon, on laisse l’enseignement de l’arabe aux islamistes et aux extrémistes qui en profitent pour faire passer leurs valeurs. C’est comme si dans un pays non francophone, on ne pouvait apprendre le français qu’avec des gens de l’Opus Dei, qui enseigneraient la grammaire et l’orthographe de manière totalement orienté religieusement. C’est aberrant, car trop restreint. Il faut qu’il y ait un enseignement encadré de l’arabe scolaire.
Gardez-vous toujours un œil sur l’actualité de la Syrie et du Moyen-Orient ?
Bien sûr, mais je ne me considère pas comme un spécialiste du Moyen-Orient. Mon expérience est ce qu’elle est, elle influe sur la façon dont je voie les choses. Je fais toujours bien attention à ne pas faire des généralités sur les arabes, sur la Syrie. Je me concentre sur mon expérience personnelle : je connais bien le village dans lequel j’habitais, et encore, je ne connais bien que quelques rues. C’est pour cela aussi que je pense que beaucoup de personnes qui se proclament « spécialistes » ne le sont pas.
Avez-vous écrit L’Arabe du futur en partie pour combler le manque de représentation des familles mixtes ?
Non pas vraiment. J’avais simplement envie de raconter mon histoire. Je ne me lance pas vraiment dans un projet pour combler un manque. Mais en même temps, je ne voyais nulle part dans la sphère publique l’écho de ce que j’ai vécu en Syrie.
Ce n’est pas une religion qui nous a sauvé du coronavirus, c’est la science
En France, il m’est très souvent arrivé de rencontrer des gens qui étaient allés une fois en vacances en Tunisie et qui m’expliquaient comment on vivait au Moyen-Orient. Après réflexion, je me suis dit que j’allais raconter ce que j’avais vu parce que j’y étais et pas eux. Ça me fait penser aux auteurs qui racontent des histoires pour dénoncer les riches, en imaginant ce qu’être à leur place signifie, alors qu’eux-mêmes n’ont jamais eu un rond. Ou bien aux riches qui imaginent pour les pauvres ce qui seraient bien pour eux… Il y a un manque d’expérience. Je préfère entendre la parole de quelqu’un de concerné, un médecin qui parle de médecine ou un inuit qui parle de la société inuit.
Comment transmettez-vous votre héritage syrien à votre fils ?
Ça se fait naturellement. Ce qui est important pour moi, c’est d’essayer de comprendre le monde dans sa diversité, d’avoir conscience qu’il existe des croyances différentes partout sur Terre, qu’à une époque, elles étaient certainement essentielles pour rassembler les humains ignorants et leur donner une morale, mais qu’aujourd’hui, tout cela est un peu périmé… La vérité absolue n’existe pas, il faut douter de tout, essayer d’être moins ignorant, étudier… Ce n’est pas une religion ou des forces paranormales qui nous ont sauvé du coronavirus, c’est la science et la recherche scientifique.
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