Coulisses de campagne

Avions, hélicoptères, affiches… pour les élections du 30 juillet, les candidats ne lésinent pas sur les moyens pour quadriller leur pays. Et misent beaucoup sur quelques hommes clés et leur savoir-faire politique.

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 7 minutes.

Au nombre d’affiches dans les rues de Kinshasa, Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba arrivent largement en tête. Le chef de l’État sortant soutenu par l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP) s’est réservé l’allée centrale du boulevard du 30-Juin. Le candidat du Regroupement des nationalistes congolais (Renaco) a monopolisé les panneaux disposés sur les bas-côtés. Pour ces premières élections présidentielle et législatives libres depuis l’indépendance, « la culture du vote en fonction d’un programme n’existe pas en République démocratique du Congo (RDC). Pour être élu, il faut matraquer l’électeur de quelques mots d’ordre », déplore un journaliste congolais : Kabila se présente comme « l’artisan de la paix » ; Bemba s’engage en faveur de la « justice, de la sécurité et du développement » ; l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Zaïre sous Mobutu, Pierre Pay-Pay de la Coalition des démocrates congolais (Codeco) promet de « gouverner autrement ». C’est-à-dire « ne jamais faire comme avant et ne plus faire comme aujourd’hui ». Quant au vice-président Azarias Ruberwa du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), il offre une « candidature de qualité ». Voilà pour la rhétorique électoraliste censée départager, le 30 juillet, ?les 33 postulants à la magistrature suprême.
Les équipes de campagne sont chargées de mettre tout cela en musique, mais seuls quelques candidats sont en mesure de mener bataille dans l’ensemble du pays. Afin de franchir la ligne d’arrivée en vainqueur dès le premier tour, l’amoureux des grosses cylindrées, le candidat Kabila, dispose d’une belle mécanique. « Le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) est la clé de voûte. Mais avec l’AMP, qui réunit 30 formations politiques, nous voulons ratisser le plus large possible et, surtout, affaiblir nos principaux concurrents dans chaque partie du territoire. Le 30 juillet, chaque voix va compter », reconnaît l’un des plus proches collaborateurs du chef de l’État qui organise la campagne depuis le palais de la présidence.
Sur le terrain, le secrétaire général du PPRD, Vital Kamerhe, natif de Bukavu, est chargé de la mobilisation. Non sans talent. À vrai dire, la machine n’a pas attendu le lancement de la campagne, le 29 juin, pour se mettre en branle. Une semaine avant la tournée présidentielle dans les deux provinces du Kivu, du 26 juin au 3 juillet, l’ancien ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement, entre 2003 et 2004, était sur place. Pour une visite tenue secrète jusqu’au dernier moment, tout a été très bien préparé. Des foules immenses, abondamment filmées par les caméras de la télévision nationale (RTNC), sont venues acclamer et écouter « Joseph » qui doit se rendre dans toutes les provinces. « J’irai là où lui n’ira pas », ajoute Kamerhe. « Depuis plusieurs mois, je suis allé, à pied, en pirogue, dans les coins les plus isolés du pays pour sensibiliser les populations », avoue un autre membre du PPRD.
Tout cela exige une grosse logistique. Un Boeing 727, trois Antonov, un jet et deux hélicoptères ont été loués à une société privée de droit congolais, Executive Jet Service. Pour quelle somme ? « Cela reste secret, car nos compatriotes pourraient être effrayés par certains montants, mais nous n’utilisons pas les moyens de l’État. Nous avons en revanche des amis et des chefs d’État qui nous aident », affirme le secrétaire général du PPRD. Le trésorier de campagne, Augustin Katumba, est présenté comme un personnage clé du staff de Kabila. Dans sa chambre d’hôtel à Kinshasa, le coordinateur de l’AMP et ancien ministre (Agriculture, Économie, Industrie puis Finances) de 2001 à 2005, André-Philippe Futa, originaire du Kasaï oriental, multiplie les entretiens. « Je garde la maison lorsque les autres sillonnent le pays, et l’AMP sera le seul couloir de décision. Son budget de fonctionnement est de 100 000 dollars », déclare celui qui affirme avoir des rapports de « confiance et de liberté » avec le chef de l’État.
« Vu mes mauvaises relations avec Kabila père, le fait que Joseph m’ait appelé en 2001 lors de son accession au pouvoir relève du parricide intellectuel », sourit-il. Futa avait sans doute, aussi, des ambitions présidentielles lorsqu’il a créé le Parti de l’alliance nationale pour l’unité (Panu). À défaut de moyens suffisants pour partir seul à la bagarre électorale, il dispose d’une place de choix dans l’écurie Kabila. Plus encore que Futa, Olivier Kamitatu est un transfuge hors pair. L’an dernier, il était encore le bras droit de Jean-Pierre Bemba, et, à ce titre, président de l’Assemblée nationale. Début 2006, il a failli faire tandem avec Pierre Pay-Pay. Aujourd’hui, il n’est rien moins que le secrétaire permanent et le porte-parole de l’AMP de Joseph Kabila.
Kamitatu parti, Antoine Ghonda ayant rejoint, en 2004, le camp présidentiel comme ambassadeur itinérant, Jean-Pierre Bemba a constitué une équipe resserrée autour du dernier carré de fidèles. À commencer par le secrétaire général du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), François Mwamba Tshishimbi du Kasaï occidental. L’actuel ministre du Budget et porte-parole de campagne est par ailleurs coordinateur de la Renaco qui regroupe une vingtaine de partis et – surprise – deux autres candidats à la présidentielle. La manuvre semble risquée. Ces candidats peuvent prendre des voix à Bemba. Mais celui-ci fait un tout autre calcul. Il fait le pari que l’ancien ministre mobutiste Christophe Mboso, dans le Bandundu, et l’ex-patron de la très puissante Minière de Bakwanga (Miba) dans la région diamantifère du Kasaï, capteront un électorat que convoite le président sortant.
Dans son bureau, situé dans les locaux du vice-président Jean-Pierre Bemba, sur les bords du fleuve Congo, le directeur de campagne Fidèle Babala, du Bandundu, « ajuste et organise les déplacements en fonction des adversaires ». « Le mois de campagne va être très chargé, et il faut sillonner l’ensemble du pays », précise celui qui travaille en étroite collaboration avec les représentants du parti dans chaque province. Depuis sa résidence privée le long du boulevard du 30-Juin, Bemba reçoit à longueur de journée, s’inquiète des journalistes qui le suivront et prépare ses tournées électorales. Pour une véritable campagne à l’américaine, les moyens doivent suivre. Si aucun chiffre n’est confirmé, la logistique est impressionnante et le marketing politique se veut très efficace. L’ancien homme d’affaires dispose de sa flotte personnelle composée de six avions, dont un Boeing 727, et un hélicoptère. Pour relayer son message, le candidat dénonce « un accès limité aux médias publics », mais peut compter sur ses deux chaînes de télévision, Canal Kin TV et CCTV.
Alignant les audiences dans sa résidence de Kinshasa, l’autre vice-président candidat, Azarias Ruberwa, compte bien faire mentir ceux qui estiment que son poids réel n’est pas à la hauteur de ses fonctions actuelles. L’accord sur la transition de décembre 2002 lui a permis de traduire en postes institutionnels les conquêtes militaires du RCD, mais, électoralement, son réservoir de voix semble limité. Par ailleurs, sa campagne connaît quelques retards à l’allumage. La dernière visite à l’intérieur du pays remonte au mois d’avril, à Lubumbashi. Une plate-forme est annoncée, mais les soutiens se font rares après les nombreuses scissions au sein de l’ancien mouvement rebelle. Quant à l’équipe, elle est dirigée par le secrétaire général du RCD, Hubert Kabasu Babo, du Kasaï, et le professeur d’université, Jean-Pierre Bilusa, de Kisangani.
Même si l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Zaïre de 1985 à 1991, Pierre Pay-Pay, né à Bukavu, a bien du mal à assumer son héritage mobutiste, la Coalition des démocrates congolais (Codeco), créée en décembre 2005, permet d’y voir un peu plus clair. Le porte-parole, André-Alain Atundu Liongo, n’est autre que l’ancien patron des services de renseignements du maréchal Mobutu. Quant au coordinateur de campagne, Charles Mwando, il s’agit d’un ancien dignitaire (gouverneur de provinces et ministre de l’Intérieur) du régime balayé en 1997. « Personne ne peut renier son passé mais nous ne sommes pas des nostalgiques », affirme Atundu, qui manie avec talent le bon mot et qui préfère donner rendez-vous au club de golf de Kinshasa, à l’écart de la ville. Habile à la manuvre, le maître-espion reconnaît malgré tout que la campagne « commence comme un diesel ». Un seul avion a été affrété. Quant aux finances, « cela fait partie des informations stratégiques que nous préférons garder, car nous avons un budget arrêté contrairement à nos principaux adversaires, qui disposent de moyens illimités ».
Sans concession pour Mobutu, mais sans illusion sur la « génération spontanée », le vieux Antoine Gizenga, vice-Premier ministre de Patrice Lumumba en 1960, se distingue à tous points de vue. Par son âge (81 ans) et sa campagne. Le leader du Parti lumumbiste unifié (Palu) compte bien profiter du boycottage du leader historique de l’opposition, Étienne Tshisekedi, et de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Sans moyens financiers, mais jouissant d’une certaine estime due à son parcours d’irréductible, il mise sur son image personnelle pour créer la surprise.
En fait, une ligne de fracture sépare la classe politique entre ceux qui se sont imposés depuis 1997 et les rescapés de l’époque Mobutu. Les premiers ont conquis le pouvoir par les armes ou à la faveur de la transition. Aujourd’hui, ils comptent sur les élections pour demeurer aux plus hautes fonctions. Pour cela, ils nouent des alliances tous azimuts avec un sens aigu de l’opportunisme. Les autres refusent de disparaître et cherchent à se refaire une virginité grâce au suffrage universel.

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