Alpha et ses « patrons »

Publié le 10 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Porté à la tête de la Commission de l’Union Africaine le 19 septembre 2003, Alpha Oumar Konaré n’y passera peut-être que quatre ans. Il a décidé de ne pas briguer un second mandat en juillet 2007. L’annonce est venue de lui-même en marge du sommet de l’UA à Banjul. Cela ne laisse qu’un an à Konaré pour faire traduire son projet politique en actions dans le plan stratégique de la Commission adopté par les chefs d’État du continent en juillet 2004 à Addis-Abeba. Un an, c’est beaucoup pour un travail de routine. Mais ça pourrait être peu pour Konaré, qui a autant besoin d’innover dans la marche de l’institution continentale que de consolider les acquis.
Alors, part-il parce qu’il sent sa mission achevée ou jette-t-il l’éponge devant l’immensité du ménage à faire pour que la maison UA réponde aux défis du moment ? Est-ce sa manière d’attirer l’attention de ses « patrons » et des populations africaines sur le fait que le consensus sur la feuille de route et les moyens à consentir ne peut pas être partiel mais total ? Il se passe, en tout cas chez ce VRP du continent, quelque chose de plus profond que les répercussions du fameux audit de la Conférence des intellectuels africains et de la diaspora, tenue à Dakar en octobre 2004 sous l’égide de la Commission de l’UA.
Konaré connaît ce dossier et les chefs d’État aussi. Ils savent donc quelle est la part – prépondérante, il est vrai – de l’intox et celle – peu relayée par la Commission – de la réalité. Il faut saisir l’occasion de cette tribune pour dire, sans s’y attarder, que dans ce dossier, l’intégrité personnelle de Konaré est inattaquable. Sa seule responsabilité aura peut-être été d’avoir accordé moins d’importance aux procédures de gestion de la maison qu’il préside qu’aux bénéfices qu’il escomptait de cette Conférence : régénérer le panafricanisme essoufflé, remédier à ce qu’il appelle la « crise intellectuelle » du continent, et vulgariser l’UA.
La frustration de Konaré va au-delà de cette affaire, scabreuse non par ses fantasmes, mais par le parfum de précampagne électorale qu’elle dégage. La rupture est profonde entre lui et ses « patrons » à cause des prémices sur lesquelles chaque partie opère. On a souvent entendu que Konaré veut aller trop vite. On a stigmatisé sa propension à soumettre des budgets jugés pharaoniques, multiplier les prises de position, forcer le débat sur l’intégration, et à accélérer – péché suprême -, l’évolution de l’institution vers les États-Unis d’Afrique. Konaré, lui, pense, au contraire, que l’Afrique a plusieurs décennies de retard sur le projet de Nkrumah, qui demeure la principale mamelle de l’UA et la justification de la disparition de l’OUA. Il est même plausible qu’il ait vu à travers son élection à la tête de l’UA la volonté politique du leadership continental de rattraper ces « décennies perdues ».
Bien entendu, dans sa passion pour l’action, Konaré n’a pas vérifié la validité de ces prémices. Il s’est plutôt préoccupé de théoriser le « retour de l’Afrique ». Il voit en la Commission la voix qui évite d’entendre 53 voix en même temps et sur la même chose, le centre de ressources qui réfléchit et organise la réponse du continent face à la mondialisation et à ses défis. Mais tout cela révèle plus le volontarisme et la passion de l’homme qu’un vrai consensus entre les parties prenantes. Indiscutablement, il veut donner à l’organisation continentale une crédibilité sans précédent.
Le pied sur l’accélérateur, il lance les institutions de l’Union : le Conseil de paix et de sécurité, le Parlement panafricain, le Conseil économique, social et culturel. Et certains de se demander ce qui fera s’arrêter cet homme. Où il s’arrêtera. Nul ne sait. Mais ce qui le fait courir, on le sait : c’est, en dépit de ses erreurs, l’intérêt exclusif du continent. On ne sait pas, non plus, si l’historien qu’il est a correctement évalué le temps historique dans lequel s’inscrit sa mission.
Mais imaginons que Nkrumah et les pères fondateurs, de nouveau aux commandes, découvrent que l’Afrique est le seul continent à avoir reculé et décident de faire appel à l’énergie d’un certain Alpha Oumar Konaré pour proposer et coordonner leurs réponses. Cela donnerait forcément une Commission de l’UA aux missions et à l’autorité différentes de celles d’aujourd’hui.

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