Un Saoudien à Washington
L’ambassadeur saoudien à Washington est l’un des principaux personnages du livre de Bob Woodward qui le qualifie d’« État dans l’État », tant il amplifie par son activisme, son entregent et sa générosité à la fois l’influence et la richesse de son royaume. En cette année 2002, le prince Bandar, 53 ans, en est à son quatrième président des États-Unis, et ses entrées à la Maison Blanche sont toujours aussi directes. Ce qui l’autorise à utiliser un langage parfois à la limite de la diplomatie. Le 15 novembre, Bandar est ainsi reçu par George W. Bush dans le Bureau ovale pour une discussion approfondie sur l’imminence de la guerre. L’ambassadeur traduit lui-même une lettre d’amitié du prince héritier Abdallah, puis entre dans le vif du sujet : les États-Unis veulent-ils réellement la chute de Saddam ? Sont-ils décidés à aller jusqu’au bout ? « Nous avons des doutes à ce sujet », précise Bandar, après avoir rappelé qu’à deux reprises au moins, en 1994 et en avril 2002, Riyad a proposé en vain à Washington de mener une opération conjointe de déstabilisation du régime irakien. « Dites-nous ce que vous comptez faire. Si vos intentions sont sérieuses, nous vous donnerons toutes les facilités. Mais sachez que tout cela va créer des problèmes dans la région. Il est donc souhaitable que vous vous engagiez parallèlement à résoudre le problème israélo-palestinien. Nous nous attendons également à ce que l’Arabie saoudite joue un rôle majeur dans la construction du nouvel Irak et dans le remodelage de tout le Moyen-Orient après le départ de Saddam. » Réponse de George W. Bush, telle que consignée par Woodward : « Vous remercierez le prince héritier, que je considère comme un bon ami et un bon, un très bon allié. Si je décide d’utiliser la force, cela signifiera la fin du régime actuel. Rien de moins. »
Deux mois plus tard, le 11 janvier 2003, le prince Bandar est l’hôte du vice-président Dick Cheney, de Donald Rumsfeld et du général Richard Myers pour un briefing un peu particulier. Une vaste carte, classifiée « Top Secret Noforn » (une précision qui interdit en principe toute exposition aux yeux d’un étranger), est étalée sur une table de travail. Il s’agit du plan d’attaque de l’Irak. Myers explique tout en détail pendant de longues minutes, avant que Bandar pose la question qui lui brûle les lèvres : « Puis-je avoir une copie de cette carte, afin de briefer le prince héritier ? » « Nous vous donnerons toutes les informations que vous souhaitez, répond Rumsfeld, un peu gêné, mais la carte, non ; par contre, vous pouvez prendre des notes… » Bandar ne se fait pas prier, puis il interroge : quelle garantie offrent les Américains que la tête de Saddam sera bien au bout de l’aventure ? Si Saddam survit au pouvoir, les Saoudiens perdront gros. « Vous pouvez compter là-dessus, le rassure Rumsfeld, c’est une promesse que vous pouvez même placer en banque si vous le voulez. » De retour à sa résidence, Bandar recopie de mémoire sur un fond de carte tout ce qu’il a vu avant d’expédier son travail à Riyad où le prince Abdallah, 79 ans, demi-frère du roi Fahd et véritable maître de l’Arabie saoudite, l’attend avec impatience.
Dernière scène le 19 mars 2003, jour du début de la guerre. Condeleezza Rice téléphone à Bandar : « Pouvez-vous venir me voir à 19 h 45 ? » Le prince comprend, ou plutôt croit comprendre : tout rendez-vous à la Maison Blanche au-delà de 18 h 30 signifie que le président Bush lui-même sera de la partie. Cette fois pourtant, il ne verra pas Bush mais Rice seule, qui lui annonce le « scoop » : l’offensive vient de débuter. Maligne, Condi lui laisse entendre qu’il est le premier non-Américain à être mis au parfum – alors que les Israéliens et les Britanniques ont déjà été informés. Flatté, Bandar demande à Rice de transmettre le message suivant au président – lequel dîne en tête à tête avec son épouse Laura : « Dites-lui qu’il est dans nos coeurs et dans nos prières. » Puis l’ambassadeur regagne son véhicule et, de là, téléphone au prince héritier en langage codé : « Les prévisions météo pour cette nuit annoncent de fortes pluies sur Roda. » « Oh, je vois, je vois, répond Abdallah, en es-tu sûr ? » « Tout à fait, les Américains ont de grandes capacités en matière de prévisions, avec tous leurs satellites. » « Répète-moi ça. » Bandar répète. « Dieu décide ce qui est bon pour nous tous », commente alors le prince héritier, qui ajoute : « Sais-tu quand précisément l’orage va se déclencher ? » « Je l’ignore, Altesse. Regardez la télévision. »
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