Une tache indélébile

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Il est tristement possible que, dans les années à venir, au Moyen-Orient, lorsqu’il sera question de l’invasion de l’Irak, on ne parle pas des morts américains ou de la chute d’un abominable dictateur. L’image de l’occupation qui restera pourrait être ces photos de soldats américains torturant, le sourire aux lèvres, des prisonniers irakiens. C’est le genre de dénouement que personne ne souhaitait, encore que l’administration Bush aurait pu l’envisager il y a longtemps et faire bien davantage pour l’éviter. Aujourd’hui, tout ce que peuvent faire le président et ses conseillers est de tenter de réparer les dégâts et d’exprimer les profonds regrets du pays. Pour l’instant, ils n’ont fait ni l’un ni l’autre.
Désormais, les images d’Américains en uniforme brutalisant allègrement des prisonniers de la manière la plus horrible qui soit pour des musulmans sont gravées dans l’esprit des téléspectateurs du monde entier. Les sénateurs de la commission des services armés, furieux qu’un rapport se soit retrouvé sur Internet avant qu’eux-mêmes le reçoivent, sont en droit de protester et de demander une enquête.

Les révélations sur la prison d’Abou Ghraib exigeaient que l’on fît preuve de quelque humilité, que l’on s’excusât auprès des victimes et que l’on informât immédiatement et pleinement le public sur ce qui s’est passé, en désignant les responsables. Au lieu de quoi l’administration Bush a engagé une de ses manuvres défensives aujourd’hui classiques. Le président et ses conseillers ont présenté ces actes comme s’ils étaient
l’uvre aberrante d’une poignée d’hommes et de femmes, alors qu’ils savaient ou auraient dû savoir que l’armée enquête sur plus d’une vingtaine d’incidents qui se sont produits en Irak et en Afghanistan.
Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, qui s’obstine à utiliser des euphémismes pour parler de ce que toute personne raisonnable considérerait comme de la torture, dément que le gouvernement avait étouffé le scandale en soulignant que les militaires avaient annoncé la première enquête sur l’affaire Abou Ghraib en janvier. C’est exact, mais aucun
détail n’avait été rendu public, bien que la vérité fût déjà connue.
Dans les trois mois et demi qui ont suivi, malgré l’ouverture de six enquêtes, le Pentagone n’a communiqué aucune information au public ni au Congrès. Mieux, le terrifiant rapport [Taguba] commandé par l’armée a été classé « secret », bien que Rumsfeld ait dû reconnaître qu’il ne savait pas pourquoi. Rumsfeld a aussi déclaré incroyable ! qu’il n’avait pas fini de le lire. À un autre moment, il a paru minimiser les sévices dont ont
été victimes les prisonniers en laissant entendre que c’est le genre de choses qui peut arriver dans un système qui n’est pas « parfait » ce qui rappelait fâcheusement la manière dont il avait expliqué le pillage de Bagdad, l’an dernier, par les « petits désordres » de la liberté.

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Fidèle au mépris bien connu de l’administration pour l’information du public, le Pentagone n’a pas communiqué le rapport au Congrès avant d’y être obligé par l’analyse qui en était faite dans le New Yorker. Il y a encore beaucoup de questions sans réponses, comme les raisons du manque de formation des gardiens ou le rôle des services de renseignement militaire et des consultants civils dans les traitements infligés aux prisonniers.
À chaque bavure et à chaque erreur commise en Irak l’administration a réagi de cette manière, prétendant effrontément qu’il ne s’est rien passé et s’en tenant à ce qu’elle avait prévu, même si le soutien international apporté à l’occupation s’est réduit à son niveau minimal actuel. Ce n’est sûrement pas le meilleur moyen de faire oublier de telles horreurs.

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