Une nation, deux mondes

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 2 minutes.

Le miracle est réel. Parce qu’au fond l’Afrique du Sud ne devrait pas exister. Elle défie les lois de l’humanité, avec leurs logiques de violences et d’affrontements. Qui aurait pu miser sur la survie de la nation Arc-en-Ciel ? 10 % de Blancs, divisés eux-mêmes entre anglophones et Afrikaners, 70 % de Noirs, eux-mêmes divisés en huit grands groupes ethniques longtemps antagonistes, sans parler de deux tribus de « colorés », les Indiens et les métis, sans parler non plus de la communauté invisible, celle des millions d’émigrants clandestins venus chercher ici un avenir…
Qui aurait pu imaginer que ces hommes et ces femmes puissent survivre ensemble à la tragédie, à l’immense injustice de l’apartheid, à trois siècles de racisme institutionnalisé ?
L’Afrique du Sud existe. Elle a survécu au traumatisme déchirant de l’apartheid. L’Histoire n’a pas hypothéqué l’avenir. L’Afrique du Sud existe, en tant qu’État et en tant que démocratie. Les tribunaux sont indépendants, la presse aussi, la Constitution est respectée. Les élections sont transparentes. L’Afrique du Sud, comme le laissait entendre la condescendance du regard blanc, n’a pas sombré dans le marxisme et la gabegie. Les « nègres » n’ont pas ruiné l’économie, bien au contraire. L’Afrique du Sud s’est modernisée.

L’Afrique du Sud est une nation, mais c’est aussi une nation violente et fragile, une nation en danger. Ici, le sida fait des ravages, décimant la partie la plus jeune, la plus éduquée de la population. Ici, il y a au moins 5 millions de séropositifs, et chaque jour que Dieu fait, 600 personnes meurent de cette maladie. Ici, la première cause de mort non naturelle s’appelle… le meurtre. On compte plus de 20 000 homicides par an (54 par jour…) et 50 000 viols déclarés. Ici, nous sommes dans le pays le plus violent du monde, juste avant ou juste après la Colombie, cela dépend des périodes. Une violence souvent gratuite, presque hystérique, comme s’il y avait un prix à payer pour la liberté. Une violence alimentée par cette génération perdue de l’apartheid, par ces hommes sans passé, sans présent et sans futur qui n’ont aucune chance de bénéficier des lumières de l’arc-en-ciel.

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L’Afrique du Sud change et, en changeant, elle dévoile une terrible réalité. Celle d’une nation où deux mondes coexistent. Le monde riche, composé de la population blanche et d’un bon tiers de la population noire qui l’a rejointe dans le train de l’opulence. Et le monde pauvre des townships et des sans-espoir. Près de la moitié des Sud-Africains vivent au bord de la misère. Le chômage touche entre 30 % et 40 % de la population active. Pour le moment, cette Afrique du Sud-là, obscène héritage de l’apartheid, n’a pas entièrement renoncé. Elle n’a pas explosé dans la colère. Elle croit encore, elle vote, elle soutient l’ANC. Toute la question sud-africaine est de savoir jusqu’à quand…

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