Un contrôle déguisé des flux migratoires ?

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

« Est-ce que tu as fait ton chiffre ? » C’est peut-être la phrase qu’on entend le plus souvent dans les couloirs de l’Ofpra. « On est censé traiter 2,7 dossiers par jour », soit environ 600 dans l’année, « c’est beaucoup trop », s’indigne un officier de protection (OP). Il est chargé d’examiner les demandes d’asile et de juger de la crédibilité des récits qui lui sont faits. Il avoue pourtant mal connaître les pays d’origine des demandeurs. D’autant que 30 % des demandeurs ne sont pas convoqués à un entretien. « C’est une aberration ! commente Antoine Decourcelle, de la Cimade, une association de défense des étrangers. On évalue une demande sur la base d’un récit écrit, alors que beaucoup des demandeurs parlent très mal, voire pas du tout français. »
Les demandeurs d’asile cherchent à bénéficier de l’article 1 de la Convention de Genève de 1951, ratifiée par la France, qui établit que toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » peut prétendre au statut de réfugié. En France, les candidats doivent désormais se conformer aux dispositions de la loi du 10 décembre 2003, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, et qui crée trois situations juridiques nouvelles – « l’asile interne », la « protection subsidiaire » et le « pays d’origine sûr ». La première permet d’éconduire un demandeur qui peut être « protégé sur une partie du territoire de son pays ». La seconde permet de reconnaître les persécutions commises par des acteurs non étatiques (groupes armés, paramilitaires, rebelles…), mais ne donne droit qu’à un statut précaire : un titre de séjour d’un an renouvelable. Quant à la liste de « pays sûrs », c’est-à-dire stables et qui respectent les droits de l’homme, elle doit être élaborée d’ici à l’été. Une liste similaire est en voie d’adoption par l’Union européenne. Elle compterait dix pays dont le Mali. Pourtant, certains Maliens obtiennent le statut de réfugié en France. Me Christine Martineau, avocate spécialisée dans le droit d’asile, a défendu il y a deux ans le couple Sissoko, qui a obtenu l’asile après avoir été persécuté par leur communauté villageoise parce qu’ils refusaient de faire exciser leur petite fille.
Selon Me Martineau, la nouvelle loi vise avant tout à contrôler les « flux migratoires », créant ainsi une confusion entre les notions d’asile et d’immigration. La nouvelle mainmise du ministère de l’Intérieur sur le circuit de la demande d’asile (création d’un poste de directeur adjoint de l’Ofpra nommé par l’Intérieur et possibilité de transmettre à ce ministère les documents d’état civil ou de voyage des demandeurs déboutés) en est la preuve. Ces dispositions, ajoutées à la multiplication des procédures de traitement d’urgence pour certaines demandes par l’Ofpra (en quinze jours, voire quatre jours, contre environ quatre mois auparavant) devraient restreindre le nombre de réfugiés. On observe déjà une baisse sensible du taux d’accord de l’Ofpra au cours des dernières années. Il était de 18 % en 2001, contre 16,9 % en 2002 et 14,8 % en 2003. « La plupart des demandeurs sont des migrants économiques », explique un officier de protection. Mais, à entendre cela, Me Martineau fulmine : « Les personnes qui fuient leur pays sont souvent victimes de pressions psychologiques et sociales terribles. Il ne faut pas alimenter le fantasme d’une Europe envahie par des hordes de faux réfugiés. Les vrais demandeurs sont là, j’en vois tous les jours. »

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