Namibie : la réparation du génocide, dernier combat de Vekuii Rukoro

Obtenir réparation pour le génocide commis par l’Allemagne en Namibie était le combat d’une vie pour Vekuii Rukoro. Il n’en verra cependant pas l’issue : le « chef suprême » herero est décédé le 18 juin dernier.

L’avocat Kenneth McCallion (à gauche) et le chef Herero Vekuii Rukoro (à droite), le 16 mars 2017, à New York. © DON EMMERT/AFP

L’avocat Kenneth McCallion (à gauche) et le chef Herero Vekuii Rukoro (à droite), le 16 mars 2017, à New York. © DON EMMERT/AFP

Publié le 27 juin 2021 Lecture : 3 minutes.

580 millions de dollars par an, pendant 40 ans. C’est le montant des réparations que réclamait à Berlin le leader charismatique de la communauté herero, Vekuii Rukoro, pour le génocide commis en Namibie par l’Empire Allemand entre 1904 et 1908. Longtemps qualifié de « génocide oublié », le génocide des Herero et des Nama est considéré comme le premier du XXe siècle. Il a fait 70 000 victimes, dont 60 000 Herero et 10 000 Nama, selon les historiens. En 1985, le rapport Whitaker présenté devant les Nations unies, a établi qu’entre 1904 et 1908, 80 % des Herero et 50 % des Nama ont été exterminés par les Allemands.

Élu chef suprême des Ova Herero en 2014, l’activiste décédé des suites du Covid-19 le 18 juin dernier à l’âge de 66 ans, avait porté son combat jusque dans les Cours de justice internationales. Son activisme lui avait même valu d’être exclu des discussions entamées entre les gouvernements namibien et allemand qui avaient débouché sur la reconnaissance par l’Allemagne, dès 2015, du génocide perpétré à l’époque, et, plus récemment, sur la demande de « pardon » adressée à la Namibie par le ministre allemand des Affaires étrangères, le 28 mai dernier.

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« Insulte phénoménale »

Des crânes de Hereros et Namas victimes de l'oppression du colonisateur allemand, exposé à Berlin le 29 septembre 2011. © Michael Sohn/NBC/AP/SIPA

Des crânes de Hereros et Namas victimes de l'oppression du colonisateur allemand, exposé à Berlin le 29 septembre 2011. © Michael Sohn/NBC/AP/SIPA

« Nous qualifions officiellement ces événements pour ce qu’ils sont du point de vue d’aujourd’hui : un génocide, avait alors déclaré Heiko Maas. À la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous allons demander pardon à la Namibie et aux descendants des victimes. » Outre ces excuses symboliques, l’Allemagne s’est également engagée à verser 1 milliard d’euros d’aides – sur une période de 30 ans… – , somme qui ne correspond en aucun cas à des « réparations », s’est cependant empressé de préciser le ministre allemand.

Au Werderscher Markt, siège du ministère allemand des Affaires étrangères, on argue que le montant des 800 millions d’euros d’aide au développement versés à la Namibie depuis son indépendance acquise en 1990 – plus important que celui alloué aux autres pays de la région – est le témoignage d’une « attention particulière » envers Windhoek. Additionnés au 1,1 milliard d’euros de soutien aux infrastructures du pays, c’est, selon Berlin, amplement suffisant.

Vekuii Rukoro n’avait pas caché sa colère, au lendemain de cette déclaration des autorités allemandes. Pour le leader herero, si l’Allemagne reconnaissait vraiment avoir commis un génocide, « cela devrait mener au paiement de véritables réparations ». En 2016, déjà, l’activiste avait dénoncé dans ces négociations un simple « show », et dénoncé les sommes évoquées comme une « insulte phénoménale », comparée aux « 75 milliards d’euros de pensions et de prestations sociales payées aux Juifs ».

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Visite du président allemand

Hereros ayant fui les troupes allemandes dans le désert d'Omaheke (1907). © Ulstein Bild / Roger-Viollet

Hereros ayant fui les troupes allemandes dans le désert d'Omaheke (1907). © Ulstein Bild / Roger-Viollet

Un an plus tard, il avait joint sa signature à un recours collectif contre l’Allemagne pour obtenir réparation du génocide déposé devant la justice américaine, qui autorise à engager des poursuites à l’encontre d’auteurs présumés de génocide hors des frontières des États-Unis. Mais, après deux ans de procédure, le juge new-yorkais avait finalement rejeté la demande formulée par les associations Herero et Nama. Vekuii Rukoro avait également engagé des procédures devant les Nations unies, en s’appuyant sur la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007.

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Jusqu’au bout, Vekuii Rukoro se sera battu pour obtenir une réelle réparation pour l’extermination méthodique d’hommes, de femmes et d’enfants, par le général allemand Lothar Von Trotha dans ce qui était alors l’Allemagne de l’Afrique du Sud-Ouest. Le mot d’ordre de l’époque ? « Tout Herero avec ou sans arme, avec ou sans bétail, doit être abattu ». Consigne tristement appliquée à la lettre, avec son lot de tueries de masse, de camps de concentration. Des crânes humains avaient même été envoyées en Allemagne, pour des « études » destinées à alimenter les théories raciales, alors répandues en Europe. Ossements restitués en 2019, année qu’a choisie Michelle Müntefering, secrétaire d’État aux Affaires étrangères d’alors, pour demander « pardon du fond du cœur » au nom de l’Allemagne.

À Windhoek, l’accord trouvé avec l’Allemagne est un « premier pas dans la bonne direction », selon le président namibien, Hage Geingob. Mais la posture de Berlin dans ce dossier est cependant jugée « choquante » par Esther Utjiua Muinjangue, présidente de la fondation Ova Herero Genocide. Le pacte qui vient d’être conclu, et qui doit encore être être signé par les deux gouvernements et ratifié par les deux Parlements pour devenir effectif, donnera lieu à une visite officielle du président Frank-Walter Steinmeier en Namibie. Il devra y présenter solennellement ses excuses au nom du peuple allemand. Une allocution que Vekuii Rukoro avait prévu de boycotter.

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