Recherche François Fall désespérément

Une semaine après sa démission surprise, l’ex-chef du gouvernement continue d’être réclamé par le président Lansana Conté. Qui refuse de se rendre à l’évidence.

Publié le 10 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est l’histoire d’une démission qui tourne au jeu de cache-cache. Elle commence le matin du jeudi 29 avril, quand le ministre secrétaire général de la présidence de la République, Fodé Bangoura, tend au chef de l’État, sous le fromager de la cour du Palais des nations (qui fait de facto office de bureau pour Lansana Conté) un courrier de haute importance que venait de déposer le cabinet du Premier ministre. « De quoi s’agit-il ? » interroge Conté. « Une lettre de démission du Premier ministre », s’entend-il répondre. « Quoi ? » sursaute le président. Qui observe quelques minutes de silence (de réflexion ?), avant d’ordonner le plus grand secret sur la lettre « jusqu’à ce qu'[il] parle avec Fall ».
Mais la nouvelle ne tarde pas à s’ébruiter. Quelques minutes plus tard, un membre du gouvernement parvient à joindre François Lonsény Fall à Paris. Lequel lui confirme ce qui paraissait être « une rumeur ». Ce sera la dernière fois que « l’homme le plus connecté de Guinée » sera joignable à partir de Conakry.

Branle-bas de combat à la présidence. On essaye par tous les moyens de contacter le Premier ministre. À l’hôtel Raphaël d’abord, où il est descendu à son arrivée à Paris, le 25 avril. La réponse de la réceptionniste tombe tel un couperet : « M. Fall a quitté l’établissement hier, 28 avril. » Les deux portables (un roaming des États-Unis et un numéro français) du désormais ex-Premier ministre sont éteints.
Contactée, l’ambassade à Paris est désespérément impuissante. Elle se limite, faute d’autres réponses, à la seule qu’elle détient : « M. Fall nous a avertis hier qu’il devait faire un aller-retour sur Montpellier pour des raisons privées. » La présidence n’est pas satisfaite, qui insiste : « Il faut, à tout prix, localiser le Premier ministre. Aujourd’hui ! »
Dans l’après-midi du 29 avril, Fall allume ses portables pour interroger sa messagerie vocale. L’ambassade de Guinée réussit juste à cet instant à le joindre. Son interlocuteur lui dit, en substance, que la présidence guinéenne cherche à lui parler. Fall esquive. Courtoisement. Il ne sera plus joignable sur ses portables connus.

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Après s’être doté d’un nouveau numéro, il appelle à Conakry « les gens qu'[il] aime pour leur expliquer et les rassurer ». Se coupe de tous (à l’exception d’un cercle restreint d’intimes qui possèdent son nouveau contact), y compris des nombreux journalistes de Paris et d’ailleurs qui cherchent à lui arracher des confidences ou interviews.
Où est-il ? L’ambassade le cherche partout, ses émissaires se rendent chez tous les amis qu’on lui connaît dans la capitale française.
Dans le plus grand secret, l’ancien Premier ministre se niche quelque part, au sud de Paris. Il ne sort que rarement. Comme en cette matinée du 3 mai, où il est reçu à l’Élysée. Et en cet après-midi du 4, lorsqu’il « dévalise » une librairie de la capitale française, où il se procure un bon paquet de nouvelles parutions. Avant de plonger, le même jour, dans la lecture de deux des ouvrages qui vont occuper ses journées : Plan d’attaque, du journaliste américain Bob Woodward, sur la guerre américaine en Irak, et Peuls, un roman historique de son compatriote Tierno Monénembo sur une ethnie qui peuple majoritairement la Guinée.
Fall lit, « se repose » et se tourne vers l’avenir. Conté accuse le coup, se remet difficilement de l’effet de surprise, multiplie les initiatives pour faire revenir son ex-Premier ministre à Conakry. Dans la matinée du 1er mai, il reçoit, au palais présidentiel de Sékhoutouréya, Hadja Saran Koma, mère de François Fall, solide octogénaire descendante de la notabilité maraboutique de Kankan. L’entretien est chaleureux, « familial ». Le chef de l’État lui dit, en substance : « Dis à mon petit frère Lonsény de revenir. Il n’y a aucun problème entre lui et moi, seulement des malentendus. C’est lui mon Premier ministre, je ne nommerai personne à sa place. Je l’attends. »

D’ordinaire portés à la délation, les courtisans de l’entourage présidentiel sont désemparés. Le chef de l’État ne leur donne pas l’occasion de le radicaliser comme à l’accoutumée. Ni même d’aborder la « question Fall » avec lui. Conté déprime. Au grand dam de ses ministres, qui essuient insultes et autres qualificatifs peu amènes (« menteurs », « diviseurs »…). Il leur reproche d’être responsables de son divorce avec son Premier ministre. Dans son collimateur, ceux d’entre eux qui passent pour être du « club anti-Fall » au sein du gouvernement : Fodé Bangoura, Moussa Sampil (Sécurité), Kiridi Bangoura (Administration du territoire et Décentralisation), Mamadi Condé (Affaires étrangères), Jean-Claude Sultan (Postes et Télécommunications)… Aux rares proches qu’il reçoit, le chef de l’État confie : « Je commence à comprendre. Il y a un groupe de ministres qui organisent ma succession alors que je ne suis pas encore mort. »
Dans la matinée du 4 mai, c’est un Conté décomposé qui dirige le Conseil des ministres. Il déjoue les pronostics de ceux qui le voyaient riposter par la nomination d’un nouveau Premier ministre, et coupe court aux calculs des prétendants à la primature en créant quatre « domaines ministériels » (regroupements à l’intérieur desquels se coordonnent les activités de plusieurs départements) : Souveraineté (Affaires étrangères, Justice, Sécurité, Défense…), Économie (Finances, Plan, Contrôle économique, Mines, Pêche, Agriculture…), Infrastructures (Énergie, Travaux publics, Transports, Urbanisme, Équipement…) et Affaires sociales (Éducation, Emploi, Jeunesse, Sports, Information…).

Cette réorganisation marque bien la fin de l’ère Fall. Même si le compte-rendu du Conseil des ministres ne fait aucune mention de la démission de l’ex-chef du gouvernement. À l’image des médias d’État, qui, sur instruction du palais, gardent jusqu’ici un silence total sur cet événement.
La page est bien tournée pour Fall. Dans la soirée du 5 mai, il s’envole pour les États-Unis où l’attendent sa femme et ses enfants. Les nombreux messages de soutien en provenance de chefs d’État africains, du département d’État américain, de fonctionnaires internationaux, de personnalités de tous bords ne réussissent cependant pas à lui ôter un regret. Celui d’« avoir abandonné les brillants cadres des secteurs public et privé qu'[il a] débauchés pour constituer son cabinet, à la primature ».

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