Mystère dans les maquis

Selon une rumeur insistante, mais jamais confirmée officiellement, le dernier carré desgroupes islamistes armés serait décimé par une vague de redditions. Info ou intox ?

Publié le 10 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

Les témoins sont formels : quarante-huit heures après la proclamation des résultats provisoires du scrutin présidentiel du 8 avril, une dizaine d’islamistes en armes, flanqués de leurs épouses et de leur progéniture, sont descendus du maquis de Menoura, entre Alger et Chlef. Ils arboraient un immense drapeau blanc. Au cours des dernières années, ce groupe s’était rendu coupable de toute une série de sanglantes exactions : massacres de villageois, assassinats de plusieurs centaines d’automobilistes trompés par de faux barrages de police, attentats à la voiture piégée à Khemis Miliana… Un détachement de la gendarmerie s’est aussitôt rendu sur les lieux et a récupéré les armes. Les terroristes et leurs familles ont été embarqués dans des camions et conduits vers une destination inconnue.
Il ne s’agit apparemment pas d’un cas isolé. Au cours des dernières semaines, des scènes du même genre auraient eu lieu ailleurs en Algérie. Selon la rumeur, une fraction du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) négocierait actuellement sa reddition. Trois cents combattants auraient déjà déposé les armes, soit environ la moitié des effectifs recensés du GSPC. À ce jour, l’information n’a pas été officiellement confirmée. Les journalistes algériens se perdent en conjectures, et les envoyés spéciaux des médias étrangers sont sur les dents.
Un reporter de la chaîne de télévision qatarie al-Jazira appelle la cellule de communication de l’armée : « Nous avons été informés que des camps pour repentis ont été ouverts dans la région de Médéa. Pourrions-nous les visiter ? » À l’autre bout du fil, son interlocuteur, un colonel, est manifestement embarrassé. « Si vous arrivez à localiser ces camps, je vous serais reconnaissant de m’en informer, car j’ignore tout de cette affaire », répond-il, sans rire.
Selon d’autres témoignages, le général Saïd Bey, chef de la 5e région militaire, aurait établi un camp à proximité des maquis de la corniche jijelienne, sanctuaire de quelques-uns des terroristes les plus sanguinaires d’Algérie. Pourtant, les porte-parole de l’armée continuent de soutenir qu’aucune négociation n’est en cours. Quant aux officiers sur le terrain, ils ne nient pas que des redditions aient eu lieu, mais tempèrent l’enthousiasme général : elles seraient beaucoup moins nombreuses qu’on le dit. Qui croire ?
Chlef, à 250 km à l’ouest d’Alger. Depuis un demi-siècle, la ville, qui s’appela successivement Orléansville et El-Asnam, a été ravagée à trois reprises par de terribles tremblements de terre. C’est ici qu’ont eu lieu les négociations avec l’Armée islamique du salut, la branche militaire du FIS (dissous en mars 1992), puis la conclusion des accords qui aboutirent, le 13 janvier 2000, à l’adoption de la loi sur la Concorde civile : « grâce amnistiante » pour les repentis, reddition de quelque six mille rebelles armés…
Hélas ! les maquis désertés par l’AIS ont vite été occupés par les jusqu’au-boutistes des GIA et, dans une moindre mesure, du GSPC. On ne signale dans la région que trois redditions. « Ces types étaient au maquis depuis dix ans. Ils ont fini par comprendre qu’ils ont perdu la guerre et espèrent bénéficier de la réconciliation nationale prônée par le président Bouteflika », explique Omar, un membre des Groupes de légitime défense (GLD), les fameux « patriotes ». Dans les environs de Chlef, la violence a certes baissé d’intensité, mais, de temps à autre, les islamistes se rappellent au mauvais souvenir de la population : bergers égorgés, bombes artisanales contre des convois de l’armée, assassinats et rackets en tout genre…
Mansour est policier. Affecté à Bou Kadir pendant les années de braise, il a vu tomber plusieurs dizaines de ses collègues sous les balles islamistes. Il a certes voté Boutef lors de la présidentielle, mais il n’a toujours pas tranché entre le choix de la paix et celui de la justice. « Cela fait très mal de croiser dans la rue un terroriste repenti faisant tranquillement ses courses à quelques mètres de la maison d’un policier qu’il a peut-être assassiné. Notre drame est de devoir appliquer une loi qui protége nos ennemis d’hier. Quand ils étaient dans les maquis, ceux-ci ne connaissaient ni limite ni pitié. » Comment réagira-t-il si une nouvelle loi d’amnistie est votée ? « Je l’appliquerais sans état d’âme », dit-il. Et la population ? « Nous sommes en milieu rural, où tout le monde connaît tout le monde. Il y aura des conséquences, mais je ne pense pas que des vendettas soient à craindre. L’expérience de la Concorde civile l’a montré. »
Nouvelle loi d’amnistie ou non, la lutte antiterroriste se poursuit. Après chaque opération du GSPC ou des GIA, l’armée déclenche de vastes opérations de ratissage dans les maquis. Le bilan du premier trimestre de cette année est catastrophique pour les groupes armés : près de deux cents tués, alors que leurs effectifs ne dépassent sans doute pas le millier d’hommes. On comprend que les redditions se multiplient…
Depuis son exil doré à Doha, au Qatar, Abassi Madani, le président de l’ex-FIS, confirme qu’une médiation est en cours et que des redditions ont lieu dans une dizaine de wilayas (préfectures) du centre et de l’est du pays. Ali Benhadj, son adjoint, comme pour démontrer qu’il continue de jouer un rôle, annonce qu’il a dépêché des émissaires dans les maquis pour convaincre les derniers récalcitrants. Et dans la région de Jijel, Madani Mezrag, l’ex-émir de l’AIS, jure qu’il ne ménagera aucun effort pour « amener nos frères à se ranger sous la bannière de l’État ».
Prenant le contre-pied de ces déclarations, Nabil Sahraoui, alias Abou Ibrahim Mustapha, l’émir autoproclamé du GSPC (depuis l’éviction d’Hassan Hattab, au mois de novembre dernier), a rendu public, le 28 avril, un communiqué dans lequel il dément tout contact avec les autorités et accuse ces dernières de faire circuler des rumeurs de redditions afin de « démoraliser les combattants. » Ce qui s’explique sans doute par la situation plus que délicate dans laquelle il se trouve. Les coups de boutoir de l’armée contre les maquis ont en effet provoqué de graves ruptures dans la chaîne de commandement du GSPC. Les multiples scissions qui ont suivi le « putsch » anti-Hattab n’ont évidemment rien arrangé, et la mort, le 15 mars au Tchad, d’Abderrezak el-Para, le numéro deux du mouvement (voir J.A.I. n° 2259), pas davantage. À l’initiative d’el-Qaïda, ce dernier avait tenté d’implanter des maquis dans les pays du Sahel, sur un terrain qui ne lui était pas familier. Une erreur stratégique payée au prix fort.
Le communiqué de Sahraoui peut donc être interprété de deux manières. Soit il s’obstine à ne pas négocier et désavoue ses combattants qui ont entrepris de le faire, sans en informer leur commandement. D’où, peut-être, la discrétion des négociateurs de l’armée… Soit il négocie bel et bien avec les autorités, mais entend le faire en position de force, en démontrant qu’il conserve d’importantes capacités de nuisance. À l’appui de cette thèse : au lendemain de la diffusion du texte, une série d’attaques terroristes ont fait une vingtaine de victimes, civiles et militaires.
Dans tous les cas, le chemin de la réconciliation nationale est semé de morts et de destructions.

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