« Mandela rayonne, Mbeki capte »

Le président de la Commission de l’Union africaine analyse la transition sud-africaine et parle de ses artisans.

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 6 minutes.

Alpha Oumar Konaré, ancien président de la République malienne, aujourd’hui à la tête de la Commission de l’Union africaine, connaît bien l’Afrique du Sud pour y avoir séjourné à de nombreuses reprises. Admiratif du destin exceptionnel de Nelson Mandela, il est aussi un ami de Thabo Mbeki, avec lequel il partage bon nombre de points de vue sur l’Afrique et l’intégration régionale. Il n’hésite pas à reconnaître que le chemin parcouru depuis une décennie par l’Afrique du Sud est jalonné de réussites qui ont valeur d’exemples pour l’Union africaine : démantèlement total et sans heurts du système d’apartheid, rétablissement de la paix civile, exode massif des Blancs évité, instauration de la démocratie et de la libéralisation économique. Déjà, les investissements sud-africains irriguent l’ensemble de la zone australe. En matière diplomatique, l’influence du pays s’étend largement au Nord, notamment dans la région des Grands Lacs, aujourd’hui désertée par les Français et les Belges. Outre l’aide efficace au dialogue intercongolais de la République démocratique du Congo, la volonté d’engager la South African National Defence Force (SANDF, armée sud-africaine), en octobre 2001, aux côtés de Mandela lorsque celui-ci était médiateur dans la crise au Burundi, est le signe d’une implication nouvelle, directe et active de l’État dans la résolution des conflits à l’échelle régionale. Si, de surcroît, la nation Arc-en-Ciel abrite le futur siège du Parlement panafricain, créé le 18 mars 2004 à Addis-Abeba, elle apparaîtra alors comme l’une des principales chevilles ouvrières sur laquelle peut compter l’Union africaine.

Jeune Afrique/L’intelligent : Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur les dix années écoulées ? On appréhendait une guerre civile entre Blancs et Noirs, mais aussi
entre partisans du Congrès national africain (ANC) et de l’Inkhata Freedom Party (IFP)
Alpha Oumar Konaré : Le miracle sud-africain n’est que le résultat de l’avancée démocratique du pays : expression populaire, grande participation de toutes les couches
sociales, particulièrement des femmes, capacité à gérer le pluralisme et les diversités, mais aussi à prendre en charge le fait majoritaire et l’expression minoritaire, sur des
bases de droit et de non-violence.
J.A.I. : C’est peut-être le résultat du passage au pouvoir de Nelson Mandela Le connaissez-vous personnellement ?
A.O.K. : Il nous a fait l’immense honneur de nous rendre visite au Mali, en 1996, durant trois jours. Jamais le peuple malien n’avait réservé, de façon si spontanée, un tel accueil à une personnalité. Tout le monde, et singulièrement la jeunesse, était avec lui. Il est un véritable symbole. Au contact de Mandela, on est frappé par sa simplicité, son humilité, sa bonhomie. Il est plein d’amour pour autrui et sait être ferme et juste. Oui,
Mandela est un juste. Avec lui, on croit davantage en l’homme.
J.A.I. : Étiez-vous présent à son investiture, le 10 mai 1994 ?
A.O.K. : Oui, c’était une occasion historique que nous ne pouvions manquer, mon épouse et moi-même.
J.A.I. : Qu’avez-vous ressenti ce jour-là, sur le plan émotionnel, vous qui étiez élu dans votre pays depuis déjà deux ans ?
A.O.K. : J’avais beaucoup de fierté et une grande satisfaction, car la victoire était propre au peuple sud-africain, mais commune à toute l’Afrique. Je me sentais aussi plus confiant dans l’avenir, grâce à cette libération, la levée de ce « germe ».
J.A.I. : Son successeur, Thabo Mbeki, est bien moins célèbre. Quel genre d’homme est-il ?
A.O.K. : J’ai connu Mbeki avant son accession à la magistrature suprême. Il n’a guère changé. C’est un homme plein d’humour et de chaleur. Si on devait comparer les deux hommes, on pourrait dire que Mandela rayonne et que Mbeki capte. C’est aussi quelqu’un
d’une grande simplicité et très humble, très pointilleux sur le droit. Je pense que c’est un grand leader africain.
J.A.I. : Que pensez-vous de sa réélection ?
A.O.K. : Il est remarquable que le peuple sud-africain, dans la régularité, la transparence et un climat apaisé, ait renouvelé sa confiance au président Mbeki. Cette réélection, comme l’indique le président Mbeki lui-même, doit être accueillie sans arrogance. Elle laisse à l’ANC un laps de temps décisif pour répondre à l’attente de
tous les Sud-Africains, particulièrement des plus démunis.
J.A.I. : Selon vous, quelle est sa vision pour l’avenir du pays ?
A.O.K. : Une Afrique du Sud plurielle, harmonieuse, confortant ses succès économiques,
au service de tous ses habitants et surtout de la majorité pauvre, longtemps opprimée. Une
nation plus attentive à ses voisins et plus engagée sur le continent.
J.A.I. : Quelle influence peut avoir cette renaissance sud-africaine sur le continent ?
A.O.K. : Une très grande influence, compte tenu du poids de ce pays. Il est le plus développé du continent, ne l’oublions pas. C’est certainement le pays d’Afrique où l’avancée démocratique est le plus remarquable et le plus ancrée.
J.A.I. : Par conséquent, que pensez-vous de son nouveau rôle, notamment son implication dans la médiation des conflits, comme au Burundi ou en République démocratique du Congo ?
A.O.K. : Je m’en réjouis, c’est son rôle dans le cadre de l’Union africaine. Elle doit
contribuer à la prévention des conflits et au développement des pays.
J.A.I. : Il doit y avoir une recette utilisée par l’Afrique du Sud pour réussir la concorde civile, peutêtre est-elle exportable
A.O.K. : Je crois que c’est l’esprit de tolérance, la capacité à s’accepter mutuellement
quelles que soient les différences, ainsi que le respect et la considération pour l’autre. On peut parler de quête de soi à travers l’autre.
J.A.I. : Finalement, la meilleure solution serait-elle de pardonner, d’effacer les crimes, de fermer les yeux sur un système aussi ignominieux que l’apartheid ? La paix mérite-t-elle cela ou faut-il que les gens rendent des comptes ? En un mot, êtes-vous pour
l’immunité ou pour l’impunité ?
A.O.K. : L’impunité n’a jamais rien réglé. Elle crée les conditions pour reproduire les mêmes fautes, décuplées. L’immunité ne saurait être permanente. Elle est circonstancielle et doit obéir à des logiques de droit et de consensus pour dépasser un cap. Le pardon est une exigence pour continuer à avancer, mais pas l’oubli. L’Afrique du Sud n’a d’ailleurs pas oublié les crimes de l’apartheid. Elle a inventé sa forme de punition, de contrition, pour sortir des logiques de vengeance et de violence. Ses choix sont l’expression d’une
confiance en l’homme, et dans le destin d’une nation plurielle. L’exemple sud-africain peut inspirer, mais ne saurait être intégralement reproduit.
J.A.I. : La véritable réussite, même si elle intervient dans un siècle, ne serait-ce pas que la majorité sud-africaine élise un Blanc à la présidence ? Ou que le Nouveau Parti national (NDRL : ancien parti blanc, aujourd’hui totalement rénové et ouvert à tous) porte à sa tête un Noir ?
A.O.K. : Il y a d’autres symboles, tout aussi forts, qui sont en marche : c’est l’existence d’un gouvernement et d’institutions pluriels et multiraciaux. Pour nous, la réussite sera que davantage de Sud-Africains, de toutes conditions mais surtout les plus démunis, soient capables de régler leurs problèmes et bénéficient d’une prise en charge
notamment pour les questions de santé, en particulier la lutte contre le sida, la sécurité, et qu’ils puissent pleinement participer à la vie économique.
J.A.I. : Justement, en tant que président de la Commission de l’Union africaine, quelle place et quel rôle entendez-vous donner à l’Afrique du Sud en matière économique et en ce qui concerne l’unité du continent ?
A.O.K. : L’Afrique du Sud est une grosse locomotive pour le train de l’Afrique. Elle a, avec d’autres, un rôle de leadership à jouer. Elle doit être un miroir en matière d’intégration et exemplaire dans la mise en uvre des décisions que nous prenons. Elle
doit être parmi les plus grands contributeurs, sans se comparer aux autres. C’est sa mission.
J.A.I. : Quelle importance pensez-vous lui donner dans la constitution d’une future force armée interafricaine ?
A.O.K. : Sa contribution, dont les conditions devront toujours être définies dans le cadre de l’Union africaine, sera évidemment majeure.

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