L’auteur Abdellah Taïa et l’actrice Boutaïna El Fekkak réinventent leur liberté

« Comme la mer, mon amour », cette pièce conçue à quatre mains par le duo, casse les codes de l’écriture africaine. Elle a été présentée en juin à Paris à Théâtre Ouvert, et sera jouée la saison prochaine en Belgique et au Maroc.

La pièce a été jouée en juin à Théâtre Ouvert à Paris, et poursuit sa route en Europe. © Jean-Louis Fernandez

La pièce a été jouée en juin à Théâtre Ouvert à Paris, et poursuit sa route en Europe. © Jean-Louis Fernandez

eva sauphie

Publié le 23 juillet 2021 Lecture : 3 minutes.

Lui est gay, elle est hétéro. Ils parlent de Nadia, « la pute marocaine », de désir, d’une fête étudiante… On croirait entendre deux jeunes occidentaux discuter. Mais il s’agit bien d’un couple d’amis marocains, fraîchement débarqués dans le Paris de la fin des années 1990, qui se chamaillent gentiment avant de se rendre à une soirée. Souffle sur ces deux exilés un vent de liberté.

La solitude de l’exil

« Ils ne vivent pas la liberté à l’occidentale, nuance l’auteur et le metteur en scène de la pièce, Abdellah Taïa, qui joue son propre rôle aux côtés de l’actrice Boutaïna El Fekkak, également à l’écriture et à la mise en scène. Ces deux personnages se lient fortement l’un à l’autre pour résister, ensemble, à la solitude de l’exil. Ils réinventent leur liberté. »

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Comme la mer mon amour, intitulée ainsi en référence au titre d’une chanson de la pop star marocaine Samira Saïdi (« Zayi el-bahr, habibi » en arabe), est inspirée de la vie des deux partenaires de scène. Abddellah et Boutaïna se sont perdus de vue pendant de nombreuses années avant de se retrouver par hasard à l’Institut Français de Casablanca en 2013, alors que l’écrivain (prix de Flore, 2010, pour Le Jour du roi) livrait son premier one-man-show. Sur les planches, c’est dans la capitale française que le duo se retrouve 21 ans plus tard, et revient sur son amitié d’alors. Cette amitié qui n’aurait pas pu voir le jour au Maroc, en raison de la différence sociale des deux partenaires, que l’exil a consolidé. Mais qui sera bientôt rompue par le départ précipité et sans explication de Boutaïna. Une rupture douloureuse pour Abdellah qui partira en quête de réponse auprès de sa camarade.

On ne voulait surtout pas imiter le théâtre français, on souhaitait faire un film égyptien

Ce projet coproduit par Théâtre Ouvert (à Paris) – une salle de spectacle sensible aux écritures expérimentales qui hébergeait autrefois le Tarmac, un théâtre dédié aux créations africaines francophones – a également reçu le soutien de l’Institut français de Paris. Chapitrée à l’aide d’extraits de films égyptiens datant des années 1950 à 1980 – tous retravaillés, recolorisés, décélérés ou accélérés – la pièce est une plongée dans l’imaginaire culturel du monde arabe. Et offre une autre forme d’écriture africaine.

Une audace d’écriture

« Le public français ne connait pas ces films, leur profondeur et les chemins qui peuvent s’installer en nous grâce à eux, glisse l’auteur. Ces productions nous ont accompagnés toute notre enfance et traitent de l’intime. On voulait montrer la beauté de ces mélodrames qui incarnent nos vies. » Une scénographie dépouillée où seul le travail des lumières projetées sur l’écran crée une mise en abyme. L’ombre de Boutaïna se substituant ainsi à la silhouette d’une actrice égyptienne.

Des scènes entières sont dialoguées en arabe, sans traduction

« On ne voulait surtout pas imiter le théâtre français, on souhaitait faire un film égyptien », revendique l’actrice. Des scènes entières sont ainsi dialoguées en arabe, sans traduction. Le moyen de s’imprégner à nouveau de l’environnement des personnages, sans pour autant passer à côté du sens. Une audace d’écriture qui n’a rien d’un acte politique pour les deux acolytes. « L’intégration de la langue arabe est venue naturellement au fil des répétitions, confie Boutaïna El Fekkak. Étant donné que l’on se jouait nous-même à l’âge de 20 ans, notre langue maternelle est aussitôt ressortie, puisque cela raconte aussi quelque chose de notre histoire. Sur scène, le changement de langue change aussi notre façon de jouer comme il change notre façon de nous adapter à une ville donnée. »

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Une spécificité qui n’en sera pas une pour le public marocain devant lequel le tandem compte bien se représenter durant la saison 2021-2022. Comme la mer mon amour aura pourtant le mérite de bousculer les codes locaux. Outre l’histoire d’amitié, il est aussi question des trajectoires de vie et des choix sentimentaux et domestiques qu’empruntent nos deux camarades, lesquels viennent aussi interroger la société marocaine.

Comme la mer mon amour, le 22 et 23 octobre 2021 à la Louvière en Belgique

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