Le « Sowetan » fait peau neuve

Moins de politique et plus de divertissement : les attentes des lecteurs ont évolué rapidement. Ce qui n’est pas toujours facile à assumer pour la presse écrite nationale.

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

« C’est simple, avant on n’avait même pas le droit de publier une photo de Mandela, la censure mettait une tache noire à la place », résume Victor Mecoamere, lorsqu’on lui demande ce qui a changé pour les journalistes depuis l’avènement de la démocratie en Afrique du Sud. Victor, journaliste responsable du supplément Éducation, est entré au Sowetan en 1985, à l’âge de 18 ans, et n’en est jamais parti.
Depuis la fin de l’apartheid, les conditions de travail de son quotidien, l’unique journal noir sous l’ancien régime, dont les bureaux se trouvent dans une zone industrielle à l’entrée de Soweto, ont changé radicalement. « Quand je devais aller au tribunal pour couvrir un procès, le juge faisait tout pour me rendre la vie impossible, je ne pouvais pas obtenir de documents, ni même m’asseoir sur le banc des journalistes », se souvient Mondagi Mafata, 35 ans, bras droit du rédacteur en chef. Une époque révolue.
Pourtant, la nouvelle Afrique du Sud donne aussi du fil à retordre à la rédaction. Elle possède, certes, la liberté de travailler normalement. Mais, d’un lectorat activiste et combattant, elle s’est tout d’un coup retrouvée avec des lecteurs moins intéressés par la politique et doit maintenant faire face à une concurrence féroce. « Nous ne sommes plus le seul journal noir, c’est aussi simple que ça », précise Victor. Tant mieux, la couleur de la peau ne compte plus pour entrer dans une rédaction en Afrique du Sud. Mais la ligne éditoriale n’en est que plus difficile à définir. Au début des années 1990, le quotidien a décidé d’appuyer le processus de réconciliation nationale et a affiché le credo « Build the nation » (« construire la nation ») à la une. L’avènement du Black Economic Empowerment, accompagné du développement d’une élite économique noire, a changé la donne, et le slogan est devenu « Power your future » (« Prenez votre avenir en main ») à la fin des années 1990.
Voulant soudain être à la fois le journal du township et celui de la nouvelle élite, le Sowetan a perdu du terrain, regagné par des titres beaucoup moins historiques. Comme le Daily Sun, lancé l’année dernière par un ancien manager blanc du Sowetan et qui est aujourd’hui le quotidien le plus lu du pays (235 300 exemplaires). Le tabloïd se concentre sur la vie des townships, avec des unes sensationnalistes, sur le modèle du Sun britannique.
« Je m’accroche tous les jours avec mon supérieur, qui veut en permanence faire des unes politiques ou économiques. Les gens prennent leur liberté comme un fait accompli maintenant, ils veulent du sport et des ragots. On n’est pas obligés de faire comme le Sun, mais il faut trouver un juste milieu », s’énerve Mongadi Mafata, casquette sur la tête, les yeux faisant des allers-retours entre la pendule et son écran. Détenu par la compagnie noire Nail, le journal est sur le point de passer sous la houlette de Johnnic, le géant des médias sud-africain.
L’accord est prêt, il ne manque plus que le feu vert de la commission. « Au moins, les patrons seront des gens du métier et pas juste des hommes d’affaires », se réjouit-on au sein de la rédaction en espérant que le groupe de presse rendra un peu de gloire au journal mythique. Le tirage du quotidien est tombé de 154 700 exemplaires en décembre 2002 à 123 500 à la fin 2003, son score le plus faible en quinze ans.
De nouveaux sujets à traiter, les journalistes n’en manquent pas. « Maintenant on a le courage de parler du sida, alors qu’il y a dix ans c’était comme parler de quelqu’un qui marche sur la Lune. On fait dialoguer des jeunes entre eux dans nos colonnes, et on prend bien soin d’indiquer que la maladie ne touche pas que les Noirs », explique Victor. Récemment, il a publié un dossier spécial sur les albinos, avec des photos de gens célèbres comme Salif Keita, pour aider à briser le tabou.
« On doit aussi expliquer précisément comment une loi peut affecter madame Makubo, qui ne peut pas avoir d’eau gratuite », indique, pour sa part, Ido Lekota, qui couvre les sujets politiques du quotidien. Un sentiment partagé par Matebelo Motlung, 23 ans, une des dernières recrues du Sowetan : « Mon boulot, c’est de raconter ce qui se passe au sein des communautés, les projets qui changent la vie des quartiers », sourit la jeune femme, fraîchement diplômée en journalisme et qui ne laisserait sa place pour rien au monde. « La rédaction a gardé un côté familial, les journalistes sont les plus courtois de tout le pays et ont une mémoire irremplaçable. Certains devraient en prendre de la graine », lance-t-elle à la cantonade.

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