Le Nigeria selon Helon Habila

Un récit hanté par le spectre de Ken Saro-Wiwa, écrivain et militant politique exécuté sous la dictature d’Abacha.

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Un fantôme hante chaque page du livre du jeune Nigérian Helon Habila, En attendant un ange. Le spectre de Ken Saro-Wiwa, écrivain et militant politique pendu en 1995 aux heures les plus noires de la dictature de Sani Abacha, se cache en effet entre les lignes de ce premier roman dont la structure éclatée exprime le chaos de la « cité du diable », de la « ville adolescente » qu’est Lagos.
Helon Habila n’est plus tout à fait un débutant. Né à Gombe, dans le nord du Nigeria, en 1967, il rejoint Lagos à l’heure de l’adolescence. Il n’a jamais vu la mer, la ville l’impressionne durablement : « Les gens considèrent Lagos comme une ville violente. C’est presque une chose vivante – une bête sauvage prête à vous dévorer. » Mais la mégapole peut aussi devenir la matière première de la création littéraire : « Lagos peut être un endroit très difficile pour vivre : les bidonvilles, l’agitation, la pauvreté, la violence… Mais comme décor d’un roman, c’est excellent. La plupart des choses, vous n’avez pas à les inventer. Les histoires vous sautent à la figure. »
Avant de réaliser son rêve de devenir écrivain, Helon Habila suit un parcours classique. Diplômé de l’université de Jos en 1995, il enseigne l’anglais pendant deux ans à l’École fédérale polytechnique de l’État de Bauchi. Puis, en 1999, il s’oriente vers le journalisme et publie des histoires d’amour pour le magazine Hints. Devenu rédacteur en chef des pages culturelles du Vanguard, il se fait remarquer en obtenant le prix de poésie Muson (Musical Society of Nigeria) pour Another Age et le Liberty Bank Prize pour une nouvelle intitulée The Butterfly and the Artist, en 2000. Enfin, un an plus tard, il reçoit le prestigieux prix Caine pour sa nouvelle Love Poems.
Ce dernier texte est le point de départ de En attendant un ange. Enfermé en prison depuis deux ans pour avoir couvert une manifestation, le jeune journaliste Lomba parvient un jour à se procurer du papier et un crayon. Il commence à rédiger son journal et à écrire des poésies, ainsi que des lettres qu’il ne pourra jamais envoyer. Découvert, on lui confisque ses affaires et il est envoyé en cellule d’isolement. Par chance, Muftau, le directeur de la prison, est un coeur tendre épris d’une institutrice, Janice. Afin de la séduire, il demande à Lomba de l’aider et d’écrire pour lui des poèmes qu’il adressera à sa belle. Lomba accepte et, par jeu, plagie des textes célèbres… Séduite par le directeur, Janice n’en est pas dupe pour autant et essaie d’intercéder en faveur de Lomba. Mais Muftau ne peut pas grand-chose pour un prisonnier politique : Sani Abacha vient d’être victime d’une tentative de coup d’État et la répression se durcit…
Le reste du livre est une errance dans les méandres du passé de Lomba à travers des personnages qui, de près ou de loin, l’ont côtoyé. Bola, Alice, Kela, James et de nombreux autres sont les protagonistes de ce roman d’initiation au cours duquel Lomba découvre peu à peu la nécessité de s’engager politiquement et, surtout, de ne pas se taire. Autour de lui, des hommes meurent, terrassés par la dictature, des manifestants pacifiques essuient le feu des militaires, les sièges des journaux sont incendiés…
Mais Helon Habila ne raconte pas l’histoire d’un héros face à la tyrannie : il nous montre comment les rencontres façonnent un homme. Aucun personnage n’est secondaire, tous ont une vie propre et singulière, un destin. Et quand le lecteur tourne la dernière page, le puzzle est achevé, les pièces s’emboîtent à la perfection.
En attendant un ange a reçu le prix du premier roman du Commonwealth en 2003. Invité à l’université d’East Anglia, au Royaume-Uni, Helon Habila travaille à un nouveau livre, Measuring Time, qui devrait paraître en 2005. Nul doute qu’il sera lui aussi habité par un illustre fantôme.

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