L’Afrique se rebiffe

Réunis pour un séminaire de formation à Tunis, les négociateurs africains ont décidé de « rester groupés » dans la jungle des débats à l’OMC.

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

« Il est hors de question que nous rééditions les erreurs qui ont été commises lors des négociations de Cancún et que les intérêts vitaux de l’Afrique se trouvent ainsi gravement menacés à cause d’un manque d’experts bien formés », lance Hakim Ben Hammouda, le directeur de la division Commerce et Intégration régionale de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), et principal initiateur de la rencontre. Allusion claire aux errements d’une grande majorité des émissaires africains lors du sommet de l’OMC au Mexique, du 10 au 14 septembre 2003. D’où l’intérêt du séminaire international de formation sur le commerce mondial – une première du genre – que la CEA a pris l’initiative d’organiser à Tunis du 26 au 29 avril.
N’eût été le problème du transport, toutes les grandes régions du continent auraient été représentées. Mais ils étaient tout de même une quarantaine – en majorité des Subsahariens, et particulièrement studieux – à s’être rendus dans la capitale tunisienne.
« Notre plus grande victoire, lance Magdi Farahat, le représentant égyptien auprès de l’OMC à Genève, c’est la prise de conscience et la mobilisation dont ont su faire preuve les pays africains depuis l’échec de Cancún. » Pour ce négociateur chevronné, qui, depuis 2000, a suivi toutes les négociations internationales sur le commerce et les questions agricoles, « les Africains sont désormais véritablement conscients des enjeux des négociations menées par les technocrates à Genève, et ils veulent avoir leur mot à dire ».
Certes, mais le face-à-face reste déséquilibré entre les 53 pays africains – dont certains figurent parmi les plus démunis au monde – et les pays riches, notamment les États-Unis et ceux de l’Union européenne.
La rencontre de Tunis aura ainsi eu le mérite de recadrer les débats. Désemparés face à la technicité des discussions – l’un des participants a affirmé qu’il faudrait tout le génie d’Einstein pour maîtriser les formules savantes en usage à l’OMC -, et les enjeux finaux des négociations, les participants de la rencontre de Tunis se sont rendus à l’évidence : plus question désormais que le Groupe africain signe le moindre texte sans avoir eu le feu vert de tous ses membres ; plus question d’aller en ordre dispersé à des négociations ardues alors que les enjeux sont déterminants pour des dizaines de millions d’Africains. Plus question non plus d’accepter le maintien des subventions occidentales aux exportations agricoles – près de 1 milliard de dollars par jour ! – qui faussent les règles du jeu.
L’Afrique réclame désormais un traitement équitable dans les cénacles mondiaux. Première ambition : la conclusion d’un accord en faveur de la filière cotonnière africaine. La position des pays riches est affaiblie après que le Groupe spécial de l’OMC a donné raison au Brésil contre les États-Unis, le 26 avril, sur ce thème.
Mais une éventuelle victoire du Sud dans le litige sur le coton ne suffira pas à conférer une vraie cohérence à l’agriculture africaine, alors qu’aucun véritable modèle de développement ne semble poindre à l’horizon. « Même si les Occidentaux supprimaient les milliards de dollars qu’ils versent chaque année à leurs agriculteurs, le problème resterait entier », clame l’Égyptien Magdi Farahat, avant d’ajouter : « Il y a une sérieuse contradiction entre cette vision à court terme, réductrice, qui vise à réclamer la suppression des subventions, et une réelle stratégie de développement à long terme où tous les aspects du développement durable de l’Afrique sont sérieusement pris en compte. »
Prochaine étape de ce bras de fer décisif : Kigali, au Rwanda, où se tient fin mai la Conférence des ministres africains du Commerce. « Une occasion à ne pas manquer », selon l’un des experts de la CEA, pour qui « l’Afrique doit absolument sortir avec des positions unifiées si elle ne veut pas être broyée par la mécanique genevoise des négociateurs occidentaux ».
Or, si les pays développés souhaitent effacer des esprits le cauchemar de Cancún, ils ne sont pas véritablement prêts à en payer le prix politique. À preuve : les 25 000 cotonniers américains continuent de produire à perte, alors que la survie de plus de 10 millions de producteurs africains est en jeu. Et ce ne sont pas les prochaines échéances électorales américaines de novembre qui risquent de modifier la donne.

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