À la conquête du continent

Face à l’essoufflement de la demande intérieure, les hommes d’affaires redoublent d’efforts pour investir les marchés extérieurs.

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

Avec un Produit intérieur brut de plus de 140 milliards de dollars, l’Afrique du Sud ne joue pas dans la même catégorie que les autres pays du continent. Elle représente plus que le PIB de l’ensemble des autres États de l’Afrique subsaharienne et autant que les cinq pays d’Afrique du Nord réunis. On comprend dès lors pourquoi, vu de Sandton – le coeur des affaires en Afrique du Sud -, le reste du continent représente toujours un petit marché même si il est en forte croissance. Depuis 2000, en effet, Pretoria a vu ses exportations continentales augmenter de plus de 60 %. Elles ont atteint 4,3 milliards de dollars l’an dernier, réalisées pour l’essentiel dans une dizaine de secteurs : notamment les biens d’équipements, les machines et l’outillage, les produits chimiques, les métaux de base et les produits agroalimentaires.
Une forte progression qui, outre la qualité des produits sud-africains et leurs prix plus abordables, s’explique essentiellement par les investissements consentis en Afrique par les grands groupes nationaux. Au total, ces derniers ont investi de 1 milliard à 2 milliards de dollars par an sur le reste du continent. Un chiffre impressionnant qui place Pretoria, depuis l’année 2002, au rang de premier investisseur en Afrique, devant les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France. Du Swaziland à l’Ouganda, en passant par la République démocratique du Congo, la Tanzanie ou encore le Cameroun, on s’habitue à ces fameuses marques sud-africaines, les nouveaux emblèmes de la pénétration commerciale de Pretoria.
MTN a ainsi investi plus de 1,4 milliard de dollars pour conquérir le marché de la téléphonie mobile au Nigeria. Sasol a investi 1,1 milliard de dollars dans un nouveau pipeline au Mozambique, alors que BHP Billiton y prenait la tête des investisseurs pour le mégaprojet de production d’aluminium de Mozal (1,3 milliard de dollars). Energy Africa prospecte au large des côtes marocaines, et Sun International compte investir dans le tourisme au Gabon.
Dans certains pays comme la Zambie ou le Mozambique, on téléphone via un réseau Vodacom, on fait ses courses chez Shoprite, on boit de la bière SAB en puisant dans son compte bancaire chez Stanbic. Toutes ces firmes, longtemps engoncées dans leurs frontières nationales pour cause d’embargo, sont aujourd’hui très conquérantes. Si l’on excepte le cas des valeurs minières (or, diamants, platine, etc.), qui, après avoir fait la gloire du pays, se sont repliées sous des cieux boursiers plus cléments, à Londres notamment, pas un secteur ou presque n’échappe à la boulimie des entreprises sud-africaines.
À tel point que le gouvernement s’est inquiété, ces derniers mois, du comportement hégémonique de ces groupes. En mars dernier, Jeff Radebe, le ministre chargé des Entreprises publiques – aujourd’hui ministre des Transports -, a ainsi ouvertement relayé les critiques formulées par nombre de pays africains, qui ont dénoncé le « nouvel impérialisme » de la nation Arc-en-Ciel. Radebe s’est dit inquiet du fait que, « souvent l’attitude des entreprises sud-africaines soit jugée arrogante, prétentieuse et non respectueuse ; elles ne cherchent jamais à nouer des partenariats avec les privés locaux et sont mal vues par les syndicats ».
Ajoutons aussi qu’elles ne font que rarement appel à des sous-traitants dans leurs pays d’implantation, ce qui renforce le sentiment anti-Pretoria, qui gagne du terrain dans les pays voisins membres de l’Union douanière de l’Afrique australe (Sacu), voire en Tanzanie, en Ouganda et au Kenya. Or l’offensive sud-africaine vient aussi pallier l’atonie de la demande sur le marché local.
En effet, le pouvoir d’achat réel a tendance à stagner et le peu de gains enregistrés depuis deux ans ont été laminés par la forte appréciation du rand. « Par rapport au dollar, la monnaie sud-africaine a gagné 27 % en 2002 et 28 % en 2003, alors même que la croissance est retombée l’an dernier à 1,9 %. Dans ces conditions, la demande intérieure ne peut absorber les productions de groupes en pleine expansion et à l’étroit au sein de leurs frontières nationales.
D’où l’inquiétude qui se fait jour dans les milieux d’affaires de Sandton, où l’on insiste de plus en plus sur l’importance des marchés extérieurs pour conforter la montée en puissance des groupes nationaux. Les premiers signes sont visibles. Déjà implantée en Tanzanie, South African Airways a noué un partenariat avec Air Sénégal International et entamé des négociations avec Ethiopian Airlines. MTN et Vodacom, les mastodontes de la téléphonie, tentent aussi d’améliorer leur collaboration avec leurs partenaires et leurs distributeurs locaux pour gommer quelque peu cette impression de velléité hégémonique qui risque, à terme, d’enrayer leur progression. Enfin, un géant comme l’électricien Eskom multiplie les partenariats, les contrats d’assistance technique avec une dizaine de pays africains, et cherche à tout prix à prendre pied en République démocratique du Congo pour desservir tout le continent.
Reste que l’autre véhicule de la toute-puissance sud-africaine, c’est bien le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). « Le président Mbeki a beau parler de Renaissance africaine, il est clair que les retombées sonnantes et trébuchantes du Nepad pour ses entreprises seront non négligeables, souligne un cadre de la Banque africaine de développement. Regardez les moyens que le pouvoir sud-africain a mis en oeuvre pour s’adjuger le secrétariat de ce programme : il est basé chez eux, dirigé par l’un des leurs et financé en grande partie par eux. On ne peut être plus clair… »

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