Michel Sidibé : « Les apports de l’Agence africaine du médicament seront techniques et politiques »

L’envoyé spécial de l’Union africaine pour l’Agence africaine du médicament, Michel Sidibé, œuvre activement à la mise en place de cette structure. En jeu : la régulation du secteur pour ouvrir la production et donner du poids au continent dans l’arène de la diplomatie sanitaire.

Michel Sidibé, ancien directeur exécutif du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida, lors d’un événement organisé à l’occasion de la Journée mondiale du sida, le 1er décembre. © Mark Garten/UN Photo

Michel Sidibé, ancien directeur exécutif du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida, lors d’un événement organisé à l’occasion de la Journée mondiale du sida, le 1er décembre. © Mark Garten/UN Photo

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Publié le 30 juin 2021 Lecture : 7 minutes.

La diplomatie sanitaire est plus que jamais en action. L’ex-ministre de la Santé et des Affaires sociales du Mali et ancien directeur de l’Onu Sida, Michel Sidibé, en a pris son parti. Il s’active sur le terrain pour plaider la cause de l’Agence africaine du médicament (AMA). Chargé, début avril, par l’Union africaine (UA) de la mise en place de cette agence, avec le titre d’envoyé spécial, il a pressé le pas en entamant, un mois seulement après sa nomination, une série de visites qui l’a mené au Mali, au Bénin, au Sénégal, en Guinée, en Sierra Leone, au Rwanda, au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, en Éthiopie, en Tunisie, au Maroc, en Algérie, au Niger, au Cameroun… Son but : récolter le nombre requis de ratifications du traité portant sa création. Son plaidoyer a d’autant plus de résonance que la pandémie de Covid-19 s’est invitée dans la précaire équation sanitaire du continent.

Jeune Afrique : L’Agence africaine du médicament tarde à se mettre en place, comment convaincre vos interlocuteurs de la nécessité de sa création ?

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Michel Sidibé : Les leaders politiques ont compris que l’AMA devient une impérieuse nécessité car l’Afrique a besoin d’une industrie de la santé et d’une vision coordonnée. Elle compte 17 % de la population mondiale et a une charge de morbidité disproportionnée. Et elle ne produit que 3 % des médicaments consommés par ses habitants avec des prix parmi les plus chers au monde, du fait des multiples intermédiaires sur les chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques. Quant aux vaccins, 99 % nous viennent de l’extérieur. Sans compter la prévalence la plus élevée au monde de faux médicaments, qui représentent en moyenne 20 % du marché, atteignant 40 % dans certains pays. Pourtant, seules 6 % des dépenses mondiales de santé lui bénéficient. Quand on sait que 54 médicaments peuvent permettre de contrôler 90 % des pathologies africaines et ne font pas l’objet de licence ou de patente, et pourraient donc être produits en Afrique, il est temps d’agir.

À ce bilan s’est ajoutée la crise du Covid. L’Agence africaine du médicament nous aidera à développer nos capacités de production et à éliminer les contrôles à l’exportation sur les matières premières et équipements, en réglementant clairement les ingrédients actifs. Actuellement, certaines molécules attendent cinq ans pour être autorisées. L’agence ne sera pas une unité bureaucratique de plus, elle servira à réduire notre dépendance envers l’extérieur. Elle permettra en outre de commencer à réfléchir aux médicaments biosimilaires car nous ne devons pas attendre pour nous tourner vers ces technologies qui représentent un gros marché.

En quoi une telle agence pourrait-elle aider le continent face à la pandémie de Covid-19 ?

Malheureusement, la vaccination progresse beaucoup trop lentement en Afrique, seuls 1,6 % des vaccins du monde y ont été administrés. Sur une population totale de 1,3 milliard d’habitants, seuls 8 millions ont reçu deux doses de vaccin. A ce rythme nous allons nous retrouver en 2024 sans avoir atteint l’immunité sur le continent. La crise que nous traversons a accru les clivages. Ce n’est pas seulement une crise de santé publique, mais une crise sociale et politique avec une dimension de sécurité humaine, qui doit alerter sur l’obligation morale de mieux nous organiser pour offrir un accès rapide aux services qui peuvent sauver la vie des laissés-pour-compte.

Si nous ne mutualisons pas rapidement nos efforts, nous n’allons pas nous en sortir

Dans un contexte où les nouveaux variants identifiés dans plusieurs pays comme l’Ouganda pourraient échapper à la protection vaccinale, le risque que la pandémie se prolonge de manière incontrôlée existe ici comme ailleurs. Nous devons donc aller vers des mécanismes de production de vaccins. Si nous ne mutualisons pas rapidement nos efforts pour africaniser notre recherche et pour équiper nos agences nationales, nous n’allons pas nous en sortir. Le marché du médicament représente 1,2 milliards de dollars en Afrique. Nous n’y aurons jamais accès sans un écosystème qui permette d’avoir des standards et des régulations permettant d’y investir.

Cette agence permettra-t-elle également d’offrir au continent une meilleure force de négociation pour la fabrication sous licence ou l’achat de vaccins ?

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L’Afrique s’est retrouvée confrontée à l’absence totale de structure lui permettant de porter une voix politique, à l’heure où la diplomatie sanitaire est devenue une réalité. L’harmonisation des réglementations en matière d’enregistrement de médicaments aidera nos pays à se conformer aux meilleures pratiques et normes, ce qui encouragera non seulement la mise en place d’une production locale de médicaments et de vaccins mais facilitera également l’accès au financement, à des technologies et à certains transferts de licences volontaires négociées. Les apports de l’agence ne seront pas seulement techniques mais politiques. Elle permettra à court terme de réaliser des achats groupés. Aujourd’hui chacun essaie de négocier de son côté et même l’UA n’a pas la capacité de le faire pour le continent. L’AMA et le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, le CDC, seront les deux poumons d’un même corps. La première assurera principalement la réglementation et le second la prévention, la stratégie de communication, la formation de nos instituts nationaux pour suivre les évolutions des pandémies futures.

Nous comptons 90 % des cas annuels de paludisme, découvert il y a 140 ans, et nous n’avons toujours pas de vaccin

Que pourrait-elle apporter en matière de recherche et développement (R&D) ?

En s’appuyant sur la Zone de libre échange continentale africaine (Zlecaf), l’AMA va certainement permettre de renforcer la capacité de l’Afrique dans ce domaine. Le continent compte 90 % des cas annuels de paludisme, qui a été découvert il y a environ 140 ans, et nous n’avons toujours pas de vaccin ! On ne peut que s’en vouloir. Il faut que nous nous approprions notre R&D en fonction des priorités du continent, ses maladies et pathologies. L’agence permettra de mutualiser les compétences car les capacités existent mais restent fragmentées. Elle va également ouvrir des perspectives pour investir la pharmacopée africaine, qui pourrait servir de base à la fabrication de médicaments, comme c’est le cas de la pharmacopée chinoise qui offre des substances actives à 80 % des médicaments fabriqués dans le monde. En attendant, nous passons à côté de ce potentiel. L’AMA peut nous aider à impulser de nouvelles logiques et visions stratégiques sur le long terme en explorant le potentiel de notre médecine traditionnelle. En cette période très particulière, nous avons l’occasion de construire quelque chose de complètement différent et de créer des emplois dans ce secteur.

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Dans un premier temps, l’AMA se contentera-t-elle d’harmoniser les procédures au niveau des communautés économiques, à défaut de fournir un enregistrement unique des médicaments à échelle continentale ?

Je pense que nous devons travailler avec l’ensemble des structures nationales pour tendre progressivement vers un enregistrement unique. Les sous-régions s’emploient a créer des structures harmonisées, quatre communautés économiques l’ont déjà fait, et l’AMA va renforcer les communautés d’intégration des marchés à cette échelle. Toutes ces questions seront tranchées plus tard, à l’entrée en vigueur du traité portant création de l’Agence africaine du médicament.

Ce traité, adopté en 2019, n’a pas encore été ratifié par tous ses signataires. Or, il faut que quinze pays le ratifient pour que l’agence puisse être créée. Vous avez déjà visité une quinzaine de pays du continent pour accélérer les choses, où en est-on ?

Nous avons une vingtaine de signataires et sur les treize pays qui l’ont ratifié, dix ont déposé leur instrument de ratification, une formalité nécessaire à sa validation. Ce traité est consensuel mais il nous faut convaincre les leaders africains au plus haut niveau pour leur expliquer pourquoi cette structure manque concrètement au continent. C’était un sujet qui était, jusqu’alors, souvent présenté sous un angle technique. Nous constatons un véritable engouement car notre plaidoyer n’est pas aride, il est incarné par la réalité quotidienne de la pandémie. Je suis très satisfait des réactions que j’ai pu rencontrer sur le terrain. En seulement un mois et demi, plusieurs pays où je me suis rendu ont activé leur processus de ratification, comme la Sierra Leone, l’Algérie ou le Maroc. Si les choses continent à ce rythme, ce sera le traité dont la ratification aura été la plus rapide au niveau africain.

L’harmonisation des régulations pose d’importants défis techniques mais aussi financiers, le coût d’une telle agence peut-il également représenter un frein pour certains États ?

Nous devons réussir à nous montrer créatifs. Les mécanismes de régulation qu’une telle agence apportera compenseront d’autres pertes comme celles liées aux faux médicaments. Rien qu’au Cameroun, ils entrainent 400 milliards de CFA de pertes pour l’État. C’est d’autant plus terrible que ce marché parallèle enrichit des réseaux mafieux. De nouveaux marchés s’ouvriront par ailleurs avec l’AMA, qui permettra aux industriels africains de monter des partenariats profitables avec des industriels du nord. Des taxes peuvent aussi être envisagées sur certains produits pour mobiliser des ressources rapidement.

Vous heurtez-vous également à des enjeux de souveraineté nationale ?

Je pense que la notion de souveraineté continuera d’exister mais elle ne représentera pas un point de blocage important dans la mesure où des pôles d’excellence sous-régionaux seront créés et assureront une meilleure intégration du marché. En permettant des achats groupés et en faisant en sorte que la pharmacopée africaine se développe, l’AMA œuvrera dans l’intérêt de tous. En Europe par exemple, chaque pays conserve ses mécanismes propres et sa souveraineté mais chaque fois que cela a été nécessaire, l’Agence européenne du médicament a pris le pas sur les décisions pour éviter des crises.

La future localisation du siège de l’agence fait l’objet de convoitises, en coulisses les discussions achoppent-elles sur ce point ?

Cela joue plutôt en notre faveur car les quinze premiers pays à ratifier le traité de l’AMA se mettront autour de la table pour définir le cadre stratégique dans lequel l’agence évoluera et seront donc force de proposition. Toutes les candidatures seront par ailleurs analysées avec des règles précises, comme l’UA les applique depuis longtemps, selon des critères partagés avec tous.

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