Et que ça bouge !

Le président Amadou Toumani Touré siffle la fin de la récréation. Il a nommé le 2 mai un nouveau gouvernement et mis à sa tête un économiste au caractère trempé. Objectif : donner un second souffle au pays.

Publié le 11 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

Ousmane Issoufi Maïga réussira-t-il à faire « bouger » le Mali et à extirper de la torpeur ce pays sahélien plus grand que le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Burkina et le Bénin réunis ? Il est permis de le croire au vu de l’accueil – plus que favorable – réservé par la presse, les partis politiques, les syndicats, et même l’homme de la rue, à la nomination, le 29 avril, d’un nouveau Premier ministre, à la place d’Ahmed Mohamed Ag Hamani, en poste depuis juin 2002. Maïga, un économiste et un inspecteur des Finances de 58 ans formé en URSS et aux États-Unis passe, en effet, aux yeux de l’opinion pour être un gros bosseur, un battant, un fonceur, mais aussi – son surnom, « Pinochet », en atteste, – un homme d’une extrême autorité (voir « Profil »). Tout le contraire de son prédécesseur, personnage affable et sympathique mais emphatique, qui s’est contenté, ces deux dernières années, de la gestion du quotidien.
Beaucoup d’observateurs étaient persuadés qu’un changement de chef de gouvernement était fortement improbable à quelques jours du VIe Sommet de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), lequel se tiendra du 15 au 18 mai dans la capitale malienne, à un mois des élections communales, prévues pour le 30 mai, et à cinq semaines de la célébration du deuxième anniversaire de l’accession à la magistrature suprême du général Amadou Toumani Touré (ATT). Ce dernier a surpris tout le monde en remerciant Ag Hamani, aussitôt remplacé par Ousmane Issoufi Maïga, et en formant, dans la foulée, un nouveau gouvernement. « L’équipe sortante était poussive et elle n’avait aucune vision de l’avenir ni crédibilité, explique au téléphone l’un des principaux animateurs de la vie politique. Le pays était figé depuis plusieurs mois, et certains ministres impliqués dans des scandales, ce qui a contribué à éroder la confiance entre le citoyen et le pouvoir. »
Conséquence : ATT a dû se résoudre à donner un coup de balai dans la termitière. Fruit d’un habile dosage entre politiques, technocrates et membres de la société civile, le nouveau gouvernement compte 27 membres (1 de moins que dans le précédent), dont 5 femmes nommées à la tête des ministères de la Justice, de la Santé, de l’Emploi, des Domaines de l’État et Affaires foncières, et, enfin, de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille. Pour éviter les flottements du passé et ménager les susceptibilités, le chef de l’État a pris le parti de créer des ministères « pleins ». Du coup, certains anciens ministres « délégués » prennent du galon. C’est le cas d’Oumar Hamadoun Diko, dorénavant unique responsable des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine, et d’Ousmane Thiam, qui cumule son ministère (Promotion des investissements, Petites et Moyennes Entreprises) avec la fonction – délicate – de porte-parole du gouvernement.
Si dix-sept anciens ministres conservent leur portefeuille ou changent d’attributions, dix personnalités à la réputation établie et vierges de toute expérience gouvernementale font une entrée remarquée au sein du cabinet. Et héritent de plusieurs départements de souveraineté ou dit sensibles. Ainsi, à l’Économie et aux Finances, Bassari Touré cède la place à Abou-Bakar Traoré, 52 ans, un juriste fiscaliste formé à l’université de Reims, en France, directeur d’un cabinet privé depuis 1994 à Bamako. Ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, le sortant paie le prix de quelques valses-hésitations et du mécontentement social lié à une mauvaise pluviosité et aux répercussions néfastes de la crise ivoirienne sur le pouvoir d’achat des ménages. Le ministère de la Défense et des Anciens Combattants échoit – c’est en passe de devenir une tradition dans ce pays démocratique – à un civil, Mamadou Clazié Cissouma, 54 ans, un magistrat réputé pour son intégrité qui était, jusque-là, procureur général près la cour d’appel de Bamako.
Tout comme la Défense, les Affaires étrangères, la Justice, la Sécurité, la Santé, la Jeunesse et les Sports ont un nouveau locataire. Ce qui devrait contribuer à requinquer l’équipe dirigeante et donner davantage de visibilité à un pays, qui, après une révolution sanglante, en mars 1991, est devenu un modèle respecté de démocratie pluraliste en Afrique. De l’avis unanime, Moctar Ouane, 49 ans, le nouveau patron de la diplomatie, est un orfèvre en la matière. Discret, toujours élégant, cet ancien élève de l’École nationale d’administration, en France, a, notamment, été le conseiller diplomatique d’ATT, lorsque ce dernier présidait le régime de transition (1991-1992), puis représentant permanent du Mali aux Nations unies, à New York. Rentré au pays il y a deux ans, il était, jusqu’à sa nomination, directeur de la Coopération internationale à l’administration centrale. Il siégera au gouvernement avec Me Fanta Sylla, 50 ans, dynamique bâtonnier de l’ordre des avocats et figure de proue du combat pour le respect des droits de l’homme dans son pays, nommée garde des Sceaux.
Autour de la table du Conseil hebdomadaire des ministres, Ouane et Me Sylla retrouveront d’autres « bleus », tels que le colonel Sadio Gassama, 50 ans, en charge de la Sécurité intérieure et de la Protection civile ; Zeinab Mint Youba Maïga, 49 ans, médecin, ministre de la Santé ; ainsi que le benjamin du gouvernement, le ministre de la Jeunesse et des Sports Moussa Balla Diakité, 39 ans, également médecin, exmilitant révolutionnaire, icône du mouvement estudiantin et unique représentant dans l’équipe du Parti pour la renaissance du Mali (Parena, la formation politique de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé).
Avec un Premier ministre tonique, un gouvernement enfin débarrassé de l’influence de partis lilliputiens, donc plus homogène, rajeuni et qui fait davantage de place aux femmes et à la société civile, le président Amadou Toumani Touré, au pouvoir depuis le 8 juin 2002, espère imprimer un « second souffle » à son action. Et rappeler aux uns et aux autres, trois ans avant la fin de son mandat, qu’un ministre est un « commis de l’État », avant tout au service des populations, qui, en dépit de la décrispation de la vie politique, continuent de tirer le diable par la queue.

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