Chine-Russie : partenaires ou ennemis ?

Publié le 10 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

La volonté affichée de Pékin et Moscou de coopérer plus étroitement doit être considérée de façon positive. Le monde entier a tout à gagner à un rapprochement des deux grands acteurs de la scène internationale dont les progrès sur la voie du développement et le recours croissant aux techniques modernes de la communication ont de fortes chances de bousculer, in fine, les structures autoritaires. Les deux pays ont une longue histoire dont ils sont fiers. Ils entendent jouer un rôle majeur dans le concert des nations. Ni l’un ni l’autre n’a pratiqué l’ouverture de ses structures politiques et sociales. Ils ont, de ce fait, l’un et l’autre manqué le progrès économique dont les pays d’Occident ont bénéficié aux XIXe et XXe siècles. Leur adhésion au communisme s’est accompagnée d’un recours à la terreur et les a conduits à un total fiasco économique.
La Russie s’emploie à s’en sortir, d’une façon chaotique, en tournant le dos au communisme, mais en conservant, peut-être faute de solution de rechange, l’héritage de certaines de ses structures. La Chine en a gardé l’étiquette et un parti unique, mais en adoptant l’économie de marché. Les performances de la Russie sont encore modestes ; il lui faudra beaucoup de temps pour que son économie atteigne un niveau comparable à celui de la Chine.
L’examen des données de base relatives à la Chine et à la Russie met en évidence des complémentarités que le voisinage facilite. La Chine est un grand utilisateur de charbon, dont elle a d’amples réserves. Elle est conduite à en limiter l’emploi en raison de la pollution qu’il occasionne. Elle est ainsi devenue un gros consommateur de pétrole – le second mondial avec 5,18 millions de barils par jour en 2003. Simultanément, le pays est en voie de doubler le nombre des terminaux d’importation de gaz naturel et de construire de nouvelles centrales nucléaires pour aider à la solution de ses problèmes d’approvisionnement en énergie qui, à terme, pourraient freiner sa croissance. À la fin de 2003, un rationnement en électricité handicapait déjà le progrès de certaines régions.
La Russie, de son côté, joue pleinement la carte du développement de ses ressources naturelles et de la commercialisation, hors de ses frontières, de leur production. Elle a ainsi prévu d’augmenter de 26 % ses livraisons de pétrole brut à la Chine en 2004. Un pipeline devrait, à partir de 2005, relier des champs pétrolifères de la Sibérie du Sud à la Chine du Nord. Détentrice des plus importantes réserves de gaz naturel connues à ce jour, la Russie doit alimenter un gigantesque gazoduc de 4 000 kilomètres de long que la Chine s’apprête à construire.
Cette relative complémentarité n’est pas à l’abri de fortes compétitions. Les États-Unis, l’Union européenne (UE), le Japon sont eux-mêmes fortement demandeurs du pétrole, si ce n’est du gaz naturel russe. La Russie est elle-même désireuse de développer ses relations commerciales avec le monde occidental et l’empire nippon. Son retour au premier plan de la scène mondiale dépend prioritairement de la qualité de son partenariat avec eux. Ces derniers ont, pour leur part, un évident besoin d’aider la Russie à accéder pacifiquement au statut de pays moderne et développé auquel elle aspire.
Autrement dit, le dialogue sino-russe ne sera pas aussi simple qu’il pourrait sembler. Un leadership chinois responsable s’en avisera comme il ne négligera pas l’importance de ses propres relations avec les États-Unis, l’UE et le Japon. L’on ne peut exclure que, confronté à de graves difficultés domestiques, il ne soit tenté de forcer son accès vers les ressources sibériennes. Les deux pays ont une très longue frontière commune, et Vladivostok et sa région furent naguère conquises sur la Mandchourie.
Le rappel de quelques chiffres donne une certaine crédibilité à un tel scénario catastrophe : la Chine compte une population d’environ 1,3 milliard d’habitants dont le vieillissement, amorcé en raison de sa politique nataliste, sera très progressif. La Russie ne compte que 150 millions d’habitants au vieillissement déjà constaté. Leur diminution numérique est amorcée. Pour l’essentiel, les Russes vivent en Europe, l’immense Sibérie, voisine de la Chine, étant très peu peuplée.
L’économie et les infrastructures chinoises ont une avance considérable sur celles de leur voisin du Nord, mais les exigences de leur développement peuvent rendre quasi irrésistible l’attrait de l’expansion géographique. Un tel aventurisme aurait bien évidemment des conséquences dramatiques.
Envisager cette éventualité n’est, bien sûr, nullement la souhaiter. Force est de constater, cependant, que les deux pays ont eu, dans le passé, des relations hostiles même lorsqu’ils se réclamaient l’un et l’autre de l’idéologie communiste la plus dure.
Les principaux pays de la planète, dont la Chine et la Russie, sauront-ils conjuguer leurs efforts pour réduire les différences qui les opposent et assurer au monde un avenir de paix et de progrès ? Il faut l’espérer.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires