Arme d’humiliation massive

Publié le 10 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Abou Ghraib, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad, était l’une des prisons les plus sinistres du régime déchu. Après la chute de Bagdad, en avril 2003, Abou Ghraib est devenue une prison militaire américaine, entièrement rénovée après avoir été pillée de fond en comble. En juin, la générale de réserve Janis Karpinski a été nommée à la tête de la 800e brigade de police militaire (PM), responsable des prisons irakiennes. Enthousiasmée par son nouveau job, elle déclarait, en décembre dernier, au St Petersburg Times, que pour beaucoup de détenus d’Abou Ghraib « les conditions de vie y sont meilleures que chez eux. À un moment, on a même craint qu’ils ne veuillent plus repartir. »
Le 28 avril dernier, l’émission 60 Minutes de la chaîne de télévision CBS diffusait une série de photos (voir ci-contre) qui donnent d’Abou Ghraib une image moins rose. Les autorités connaissaient leur existence : la générale Karpinski a même dit qu’elles l’avaient « rendue malade » quand elle les avait vues pour la première fois, en janvier. Mais pendant plus de trois mois, on s’est bien gardé d’en parler. Jusqu’à leur diffusion par CBS. Entretemps, en janvier 2004, la générale Karpinski avait été suspendue de ses fonctions, et une enquête ordonnée par le général Ricardo Sanchez, commandant en chef en Irak. Un rapport de 53 pages, rédigé par le général Antonio Taguba, était prêt à la fin de février. Il n’était pas destiné à la publication, mais The New Yorker a pu s’en procurer un exemplaire. Seymour Hersh en publie une longue analyse dans le numéro daté du 4 mai.
On peut y lire : « Taguba a établi qu’entre octobre et décembre 2003, il y a eu à Abou Ghraib de nombreux cas de « pratiques sadiques et de cruautés gratuites ». Ces sévices systématiques et illégaux ont été perpétrés par des soldats de la 372e compagnie de PM et par des membres des services de renseignements américains. » Exemples de ces « pratiques » : « Casser des ampoules chimiques et verser le phosphore sur les détenus ; arroser d’eau froide les prisonniers nus ; les frapper avec un manche à balai et une chaise ; menacer de viol des détenus mâles ; sodomiser un détenu avec une ampoule chimique et peut-être un manche à balai ; utiliser des chiens militaires pour effrayer et intimider les prisonniers et, dans un cas au moins, en faire effectivement mordre un par un chien. »
Six suspects sont actuellement incarcérés en Irak, inculpés de « manquements au devoir, cruauté envers des prisonniers, mauvais traitements et actes indécents ». Un septième, la soldate Lynndie England, a été réassignée à Fort Bragg, en Caroline du Nord. Elle est enceinte. C’est elle qu’on voit, sur l’une des photos, montrer de la main, en souriant, les parties génitales d’un Irakien. Commentaire de Hersh : « Une telle déshumanisation est inacceptable dans toutes les cultures, particulièrement dans le monde arabe. Les actes homosexuels sont contraires à la charia et il est humiliant pour des hommes de se retrouver nus devant d’autres hommes… Être obligés de s’empiler les uns sur les autres et de se masturber en public est une vraie forme de torture. »
Hersh cite une lettre écrite à sa famille par le sergent Chip Frederick. Comme il s’étonnait de voir des prisonniers nus ou affublés de sous-vêtements féminins, on lui a répondu : « C’est ce que veulent les gens du renseignement militaire [MI]. Ils ont aussi demandé qu’on enferme les prisonniers sans toilettes ni eau courante, sans aération ni fenêtre pendant quelquefois trois jours d’affilée. »
Ce que confirme le rapport Taguba : « J’ai appris, écrit le général, que le personnel assigné à la 372e compagnie de la PM et à la 800e brigade de la PM a reçu l’ordre de modifier les procédures d’accueil pour « préparer » les interrogatoires par le MI. Les agents du renseignement et de la CIA et des consultants civils ont « activement demandé que les soldats de la police militaire créent les conditions physiques et mentales d’un interrogatoire favorable des témoins ». »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires