Burkina Faso – Ousseni Tamboura : « Nous ne sommes pas débordés par les groupes jihadistes »

Insécurité, retour de Blaise Compaoré, procès dans l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara… De passage à Paris, Ousseni Tamboura, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Des soldats burkinabè patrouillent lors d’une opération à Gorgadji, dans le nord du pays, en mars 2019. © REUTERS/Luc Gnago

Des soldats burkinabè patrouillent lors d’une opération à Gorgadji, dans le nord du pays, en mars 2019. © REUTERS/Luc Gnago

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Publié le 30 juin 2021 Lecture : 7 minutes.

Jamais le Burkina Faso n’avait subi une telle attaque. Dans la nuit du 4 au 5 juin, au moins 132 personnes (selon le bilan officiel), dont des femmes et des enfants, ont été tuées par des hommes armés à Solhan, dans le nord-est du pays.

Ce massacre de civils a suscité une vague d’indignation bien au-delà des frontières burkinabè. Et provoqué des marches de protestation de la population dans plusieurs localités, de vives critiques des opposants, et même le dépôt d’une plainte du mouvement Balai citoyen contre le gouvernement pour « non-assistance à personne en danger ».

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Après ce drame, l’opposition a appelé la population à des marches partout dans le pays les 3 et 4 juillet pour rendre hommage aux victimes du terrorisme et dénoncer la gestion de la crise sécuritaire par les autorités. De passage à Paris, Ousseni Tamboura, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, estime que ces mobilisations ne sont pas la solution. Interview.

Jeune Afrique : Au moins 132 personnes ont été tuées dans une attaque à Solhan le 5 juin. Avez-vous plus d’informations sur les assaillants et confirmez-vous leurs liens avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ?

Ousseni Tamboura : Nos enquêtes ont permis de faire remonter de premières informations. La justice s’est aussi mise en branle sur ce dossier. Le groupe qui a perpétré cette attaque semble bien affilié au GSIM et à Al-Qaïda. Nous allons continuer nos enquêtes.

Vous avez également déclaré que la majorité des assaillants étaient des enfants, âgés entre 12 et 14 ans…

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Les enquêtes montrent que ce sont des jeunes combattants. Dans ces zones, les écoles sont fermées depuis trois ou quatre ans. Cela nous interpelle également sur la stratégie des groupes terroristes, qui n’hésitent pas à enrôler des enfants. Il faut prendre en compte cette donne dans notre stratégie, qui consiste à impliquer davantage les populations dans la lutte contre le terrorisme. Il faut veiller à ce que les enfants qui ne sont plus scolarisés et exposés à des opérations de recrutement dans ces régions soient protégés.

Ousseni Tamboura, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement du Burkina Faso. © Communication Gouvernement Burkina Faso

Ousseni Tamboura, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement du Burkina Faso. © Communication Gouvernement Burkina Faso

Depuis cette attaque, plusieurs manifestations spontanées rassemblant des milliers de personnes – à Dori, Kaya, Titao… – ont eu lieu pour dénoncer l’inaction des autorités face à la situation sécuritaire. L’État est-il débordé face aux attaques des groupes jihadistes ?

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L’État n’est pas débordé, même si nous sommes conscients qu’il faut améliorer notre communication sur les actions de nos forces de défense et de sécurité. L’attaque de Solhan a profondément choqué les consciences par le nombre de victimes et sa violence. À chaque fois que nous sommes confrontés à des attaques de ce type, l’opinion publique se pose des questions, interroge la stratégie militaire et les réponses du gouvernement…

Après, il faut distinguer les choses. Il y a effectivement eu cette marche à Dori après l’attaque de Solhan. Mais la marche de Kaya n’était pas liée, elle était plutôt consécutive à l’embuscade qui a coûté la vie à onze de nos policiers. À Titao, ce sont d’abord des VDP (des « Volontaires pour la défense de la patrie », des supplétifs civils de l’armée) qui se plaignaient de ne pas avoir été secourus à temps.

La situation ne s’est guère améliorée depuis la création officielle de ces VDP, en janvier 2020. Avec le recul, n’était-ce pas une erreur de recourir à ces supplétifs civils de l’armée ?

Non, ce n’est pas une erreur. Il faut connaître l’historique de cette institution. Je suis certain que si nous n’avions pas instauré les VDP, le péril aurait été plus important. Les attaques terroristes au Burkina ont débuté en janvier 2016. Le terrorisme s’est ensuite progressivement déployé dans les villages, obligeant les populations à se déplacer. À partir de ce moment, il était question d’associer les populations à la défense du territoire et à la lutte contre le terrorisme. Nous n’avons pas les moyens de déployer des militaires dans chaque village.

Les VDP ont été institués par une loi votée en 2018, aussi bien par l’opposition que par la majorité, parce que le péril était tel qu’il fallait trouver un moyen d’associer les populations. Le principe est très simple : sur la base du volontariat, ce sont les citoyens, dans leurs villages, qui décident de s’associer à la lutte contre le terrorisme. Ils sont ensuite enrôlés par l’armée à la suite d’une enquête de moralité. Ils reçoivent une formation, de l’équipement et un appui financier.

À côté de ces VDP reconnus sous le régime de cette loi, il y a toutes les autres initiatives locales et civiles de défense contre l’insécurité, comme les Kogleweogo, les Dozos… Quand la menace terroriste est arrivée et a touché les villages, ces groupes se sont aussi donnés pour mission de lutter contre le terrorisme. Il y a une tendance générale à considérer que tous ces groupes sont des VDP mais ce n’est pas le cas. Les VDP sont ceux qui ont été recrutés sous l’égide de la loi de 2018. Leur contribution est très importante. Maintenant, il y a encore surement des choses à améliorer, comme la communication et la cohérence avec les FDS.

Roch Marc Christian Kaboré, lors du G5 Sahel à Nouakchott, le 30 juin 2020. © Ludovic Marin /Pool via REUTERS

Roch Marc Christian Kaboré, lors du G5 Sahel à Nouakchott, le 30 juin 2020. © Ludovic Marin /Pool via REUTERS

Le chef de l’État pense que ces marches fragilisent l’unité de la nation

L’opposition a annoncé une série de marches les 3 et 4 juillet à travers le pays pour protester contre la dégradation de la situation sécuritaire. Dans son discours à la nation, le 27 juin, le président Kaboré a demandé de « surseoir » à ces manifestations. Pourquoi ?

Car le chef de l’État pense que cela fragilise l’unité de la nation et que ce n’est pas la solution. Toute la nation est conviée à se battre, pas seulement un groupe de militaires ou de policiers. Qu’apportent ces marches dans l’amélioration de la lutte contre le terrorisme ? Je pense que l’opposition aurait mieux à faire dans la contribution contre le terrorisme. Elle pourrait s’investir dans la sensibilisation et dans l’information des populations pour qu’elles soient encore plus résilientes. Il y a encore bien d’autres espaces dans lesquels l’opposition pourrait s’investir pour aider le gouvernement.

Vos opposants déplorent votre absence de stratégie sécuritaire. Que leur répondez-vous ? Le gouvernement a-t-il une stratégie pour inverser la tendance ?

Bien sûr que nous avons une stratégie. Il y a quand même des opérations qui ont été menées, des terroristes qui ont été neutralisés, des bases qui ont été démantelées. Malgré les chocs que nous avons connus, notre pays reste debout. Les institutions démocratiques fonctionnent. Nous avons tenu des élections il y a six mois.

Certes, il y a un défi sécuritaire mais le plus important est maintenu. Nous avons aussi mobilisé des ressources financières comme nous ne l’avons jamais fait dans ce pays. Pour la première fois, une loi de programmation militaire a été adoptée en 2018, pour verrouiller des ressources importantes pour l’équipement des forces armées. Nos forces de défense et de sécurité ont été rééquipées. Nous avons également amélioré le cadre juridique de la lutte contre le terrorisme. Depuis 2018, nous avons instauré les lois qu’il fallait pour protéger nos FDS et associer les populations à cette lutte.

Le président a affiché sa volonté de faire avancer la réconciliation nationale durant son deuxième mandat. Peut-il y parvenir sans faire rentrer Blaise Compaoré ?

Le retour de l’ancien président Blaise Compaoré est dans le schéma de la réconciliation. Le président Kaboré a concrétisé son idée de réconcilier les Burkinabè en créant un ministère important qui est uniquement dédié à cette mission et en établissant une feuille de route claire avec différentes étapes. Le retour des exilés politiques en est un des aspects. Mais nous avons aussi convenu que la réconciliation nationale n’est pas une prime à l’impunité.

Réconciliation ne veut pas dire déni de justice

Est-il prêt à faire un geste envers lui ou sera-t-il jugé pour les faits qui lui sont reprochés, en particulier dans l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara ?

La justice est indépendante du pouvoir exécutif. Et le pouvoir de gracier ou d’amnistier quelqu’un intervient après un procès, jamais avant. Réconciliation ne veut pas dire déni de justice.

Donc pas de passe-droit pour Blaise Compaoré ?

Non, je ne pense pas qu’il puisse avoir un passe-droit. Comme l’a dit le président, tout le monde doit passer par la case justice si cela est nécessaire.

Quand se tiendra le procès dans l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara ?

Ce sont les acteurs de la justice qui fixent les débuts des procès. Des actes importants ont été posés dans ce dossier comme dans d’autres. La justice programme ses procès selon ses propres rythmes et sa propre logique.

Comment votre gouvernement a-t-il accueilli l’annonce de la fin de l’opération Barkhane ? Êtes-vous préoccupé par l’éventuel vide qui s’en suivrait sur le terrain ?

Cette décision est celle de la France. Le président français en a longuement expliqué les raisons. De notre côté, nous estimons que les accords de coopération doivent permettre de renforcer les armées nationales et de fournir une assistance aux services de renseignements. La communauté internationale doit continuer à appuyer les gouvernements qui font face au terrorisme. L’erreur à ne pas faire serait de laisser les groupes terroristes déstabiliser des gouvernements démocratiquement élus.

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