Spike Lee hollywoodien

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Spike Lee occupe une place à part dans le cinéma américain et plus particulièrement dans le cinéma noir américain. Il a été considéré dès le milieu des années 1980, après le succès de son premier long-métrage (Nola Darling n’en fait qu’à sa tête), comme un réalisateur pionnier portant haut le drapeau de sa communauté, alors quasiment privée de représentation « positive » sur les écrans. Il a tenu ses promesses et est devenu, vingt ans et une quinzaine de films plus tard, le chef de file incontesté d’une nouvelle génération de cinéastes qui a permis à la cinématographie africaine-américaine de s’imposer enfin comme « majeure » aux États-Unis. Voilà pourquoi à chaque fois qu’il sort un nouveau film, il s’agit d’un événement. Aux États-Unis comme dans le monde entier.

Avec la sortie d’Inside Man, très bien accueilli par une critique unanime, le phénomène se vérifie de nouveau. Depuis son apparition fin mars sur les écrans, le film bat tous les records. Aux États-Unis, il a généré en l’espace de trois jours 30 millions de dollars de recettes, ce qui constitue le meilleur démarrage de toute sa carrière pour le réalisateur new-yorkais. Comme il s’est également retrouvé tout de suite numéro un dans beaucoup d’autres pays (Royaume-Uni, Allemagne, Brésil, etc.), on peut supposer qu’avant même la fin de sa première semaine d’exploitation, Inside Man, qui a pourtant coûté 45 millions de dollars, aura été largement amorti. Alors qu’il n’était toujours pas visible partout, puisqu’il ne sort, par exemple, en France que le 12 avril.
Le sujet du long-métrage n’est pas étranger à ce succès. Il raconte en effet d’une façon très efficace, sur le mode d’un polar, l’histoire d’un hold-up parfait dans une banque de Manhattan. Si le scénario en rappelle d’autres – celui d’Une après-midi de chien ou celui de Usual Suspects par exemple -, il n’est pas pour autant simplement classique. Car l’auteur principal de ce « coup », qui s’accompagne d’une prise d’otages très subtile (tout le monde est prié de porter un même vêtement informe qui empêchera jusqu’au bout de distinguer entre gangsters et employés de banque), est un bien étrange individu. De plus, il a affaire à un policier (joué magnifiquement par Denzel Washington) et à une « médiatrice » (Jodie Foster) peu banals, presque aussi rusés que lui. Sans compter que l’issue de l’histoire, que nous ne dévoilerons évidemment pas, est pour le moins surprenante.
Le nouveau Spike Lee, on l’a compris, tranche quelque peu avec son style habituel, même si ce n’est pas la première fois qu’il aborde un thème très grand public. Ses deux derniers films – La 25e Heure et She hate me – n’étaient d’ailleurs pas, c’est un euphémisme, les plus militants dans l’uvre de l’auteur de Malcolm X. À part le rôle attribué à des Noirs dans la distribution, quelques répliques rappelant qu’il existe encore des problèmes raciaux aux États-Unis, rien ne donne une vraie dimension politique ou sociale à Inside Man, film finalement très hollywoodien.

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Comme on connaît l’appétit de reconnaissance et le sens des affaires de Spike Lee, doit-on en conclure qu’avec l’âge il a abandonné sa vocation de cinéaste engagé ? Sans doute pas, comme le prouve le tout récent long-métrage sur l’ouragan Katrina qu’il a tourné pour la chaîne de télévision HBO. Mais il est vrai que l’espoir qu’on a entretenu de voir s’affirmer pour longtemps un « nouveau cinéma noir américain » a été déçu. Car on a assisté à la conversion de la plupart des réalisateurs prometteurs, comme l’auteur du remarquable Boyz N’ the Hood John Singleton, au pur cinéma de divertissement. On peut le regretter. On peut aussi considérer que cette évolution marque une étape sur le chemin de l’intégration réussie des Noirs dans la société nord-américaine.

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