Les parlements africains servent-ils vraiment à quelque chose ?
Souvent dominés par la figure écrasante des chefs d’État incarnant à eux seuls l’autorité publique, relégués au rôle de chambre d’enregistrement, les parlements peinent à exister sur le continent. Mais les choses changent, estime Nayé Anna Bathily dans son dernier livre, « L’Éveil des parlements africains ». Interview.
Les parlements ont-ils la place qu’ils méritent dans la vie politique africaine ? Poser la question c’est déjà un peu y répondre par la négative.
Dans beaucoup de pays du continent, que les institutions soient inspirées du modèle britannique ou français, la vie politique tourne souvent, voire exclusivement, autour du chef de l’État et de son entourage proche. Mais les choses changent, assure dans son dernier livre Nayé Anna Bathily.
Cette diplômée de Harvard travaille depuis vingt ans à la Banque mondiale, où elle a longtemps été en charge des relations avec les parlementaires africains. Aujourd’hui promue à la tête des Affaires externes de la Banque mondiale pour le région Afrique centrale et de l’Ouest, celle que ses compatriotes sénégalais connaissent aussi comme la fille de l’ancien ministre et représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, Abdoulaye Bathily, a développé une excellente connaissance des parlements du continent et des élus qui les composent. Au point d’en tirer un livre, L’éveil des parlements africains*.
S’interrogeant sur le manque relatif de visibilité du pouvoir législatif dans certains pays, l’autrice en souligne le déficit de représentativité et remarque que bien peu de citoyens ont une idée claire du rôle que jouent députés et sénateurs dans la vie publique de leur pays.
Le livre n’a pourtant rien d’un constat d’échec et invite à l’espoir. En effet, depuis les indépendances, et même si la situation n’est pas uniforme sur tout le continent, le rôle et les prérogatives des parlementaires se sont renforcés et affinés.
C’est donc un ouvrage plein d’optimisme que signe Nayé Anna Bathily, achevant son propos par un manifeste dans lequel elle liste les principaux progrès qui restent à accomplir, avec au premier rang, une meilleure représentation des femmes et des jeunes sur les bancs des assemblées africaines.
Jeune Afrique : Dans beaucoup de pays, le parlement peine à exercer un contre pouvoir face à l’exécutif. Y a-t-il quand même des raisons d’espérer un meilleur équilibre ?
Nayé Anna Bathily : Bien sûr. C’est vrai que la situation peut parfois sembler décourageante dans certains pays mais nous avons choisi de titrer sur « l’éveil des parlements », sans point d’interrogation. On voit monter une forme d’autonomisation des parlements en Afrique. La validation du budget, par exemple, n’est plus une formalité pour l’exécutif. On vient de le voir au Kenya où des taxes voulues par le gouvernement ont été rejetées à la chambre, on l’a vu aussi en Afrique du Sud avec la mise en accusation par les élus du président Zuma. On entend de plus en plus parler de l’action des parlements sur le continent.
La vie politique reste quand même souvent focalisée autour de la figure d’un président ou d’un Premier ministre, source de toute autorité. Pourquoi un tel niveau de personnalisation du pouvoir ?
C’est vrai, mais est-ce propre à l’Afrique ? Il y a eu une évolution avec le temps. Au lendemain des indépendances, beaucoup de pays avaient adopté des régimes plutôt parlementaires, souvent proches du système britannique. Mais la similitude avec les institutions mises en place durant l’époque coloniale a nui à la légitimité de certaines chambres, et cela a renforcé le pouvoir personnel des chefs d’État au cours des années 1960 et 1970.
Après la fin de la Guerre froide, le pouvoir personnel a de nouveau reculé et aujourd’hui on voit de plus en plus de présidents qui ont d’abord été des parlementaires, comme Roch Marc Christian Kaboré au Burkina Faso ou Mohamed Bazoum au Niger. Être parlementaire, cela peut aussi façonner une carrière politique, donner un ancrage local.
Je pense que le problème est plus le mode de gouvernance que le nombre de mandats.
Le fait que les institutions post-indépendance aient été inspirées des modèles occidentaux ou façonnées selon les préjugées des anciens colonisateurs se fait encore sentir ?
Absolument. Il existait sur le continent, avant la colonisation, des systèmes démocratiques, des institutions délibératives parfois très sophistiquées comme dans l’empire Oyo, dans le Nigeria actuel, ou au royaume du Buganda. C’est d’ailleurs dommage que la plupart des programmes scolaires en Afrique n’abordent pas ces questions. Les puissances coloniales, elles, sont arrivées avec dans la tête une image caricaturale, celle d’un pouvoir personnel, masculin, qui s’exerçait autour de l’arbre à palabre… Et lorsqu’elles sont parties, elles ont laissé des institutions qui dupliquaient le régime de « despotisme centralisé » qui était celui des empires coloniaux. Regardez les parlements de la plupart des anciennes colonies britanniques : le bâtiment ressemble au palais de Westminster, vous avez les bancs qui se font face, parfois même les perruques…
Le problème de la faiblesse relative des parlements face à l’exécutif n’a-t-il pas aussi un lien avec la non-limitation des mandats présidentiels ?
Je pense que le problème est plus le mode de gouvernance que le nombre de mandats. Dans certains pays où les mandats ne sont pas limités, le parlement exerce un vrai contrôle. Je pense au Rwanda où il fait un travail très méticuleux. Donc c’est plus complexe que cela.
Vous expliquez que beaucoup de citoyens pensent que les parlementaires sont des représentants locaux du pouvoir exécutif, alors que leur rôle est théoriquement bien distinct. Pourquoi ce malentendu ?
Il y a beaucoup de raisons. Je pense que la faiblesse de certains parlements à l’époque des partis uniques a poussé les élus à vouloir se rendre crédible autrement, par exemple avec leur action locale. Il y a aussi parfois une forme de clientélisme, ainsi qu’une méconnaissance du travail parlementaire. Mais ce genre de choses a aussi existé en France jusqu’en 2017, avec la réserve parlementaire dans laquelle les élus pouvaient piocher pour financer des projets locaux, sans contrôle vraiment poussé.
Mais a priori le rôle du parlement est avant tout de voter les lois et de contrôler l’exécutif, pourquoi en est-on si loin ?
La situation s’améliore. Notamment en Afrique australe, où le niveau de contrôle de l’exécutif est fort. Et dans un nombre croissant de pays, on a quand même maintenant des sessions parlementaires régulières, le vote du budget, des ministres qui viennent faire valider leur programme devant l’assemblée…
La question de l’utilité d’une deuxième chambre fait débat dans beaucoup de pays. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que c’est un sujet polémique, surtout en raison du coût de ces chambres. On ne peut pas répondre de manière générale. Dans les pays fortement décentralisés, voire fédéraux, la chambre haute a souvent un rôle très important. Comme en Afrique du Sud, par exemple, où l’on assiste à des débats très animés qui opposent souvent des blocs plus géographiques que politiques.
Une deuxième chambre peut représenter les régions ou les communautés locales, mais comment mieux intégrer certaines catégories de population : les femmes, les jeunes, les classes sociales défavorisées ?
Sur ce plan je suis assez favorable à un système de quotas, même de façon transitoire. C’est une première étape. Beaucoup de pays l’ont fait, le Sénégal et le Rwanda notamment, et cela a permis d’atteindre un niveau de représentativité supérieur à ce que l’on voit ailleurs dans le monde. L’Afrique est d’ailleurs assez avant-gardiste sur ce plan, avec plus d’une quinzaine de femmes speakers ou chefs de leur parlement national. C’est autant qu’en Europe et mieux que partout ailleurs. Plusieurs pays ont aussi créé des assemblées de jeunes.
Vous plaidez aussi pour que les parlements soient dotés de plus de moyens. Mais dans certains pays, comme tout récemment en RDC, on trouve qu’ils coûtent déjà bien trop cher…
Il y a beaucoup de disparités. Parfois de gros budgets sont consacrés à des missions qui devraient théoriquement relever plutôt de l’exécutif. Il faudrait plus de contrôle et de transparence sur la répartition des ressources. Globalement, il y a un besoin de renforcement des capacités techniques des parlements et des parlementaires. Il faudrait que les budgets soient consacrés à ce qui est vraiment important : le recrutement des collaborateurs, la digitalisation, la formation, la traduction, car dans beaucoup de pays de nombreuses langues sont utilisées et cela pose de gros problèmes lors des débats… Ce ne serait pas de l’argent gaspillé.
* L’Éveil des parlements africains, de Nayé Anna Bathily, éd. Karthala, 287 pages, 22 euros
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