Nom de Dieu !

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est une histoire assez bizarre qui s’est passée dernièrement à Amsterdam. Elle met en scène Dieu, des protestants, des athées et des Marocains. Ce n’est pas de la petite bière
Depuis plusieurs années, la première chose que vous pouvez voir en sortant de la gare centrale d’Amsterdam, c’est un immense signe qui proclame : JÉSUS T’APPELLE ! Le soir, le signe s’illumine, ce qui est assez logique puisqu’on parle de la foi. En fait, il s’illumine surtout parce qu’il est entouré d’un filet de néon de couleur verte.
Jusque-là, tout va bien.
Mais voilà qu’un quidam s’énerve. Chaque fin d’après-midi, il revient de son travail, fatigué et somnolent, il sort de la gare, il lève les yeux machinalement et il reçoit en plein visage cette information qui a quelque chose de comminatoire : JÉSUS T’APPELLE !
Le quidam en question, appelons-le Hans, prend contact avec la mairie. Serait-il possible de faire enlever ce signe qui le plonge chaque fin d’après-midi dans une grande nervosité métaphysique ? Non, répond la mairie. Une association de propagande religieuse a loué la façade et elle a le droit d’y écrire ce qu’elle veut. Soyons logique – c’est toujours la mairie qui parle – : si on a le droit d’intimer au passant l’ordre de boire du Coca-Cola ou de manger des hamburgers, ce serait quand même le comble si on ne pouvait pas lui suggérer de penser aux nourritures spirituelles. Au moins, elles ne font pas grossir.
Hans commence à s’énerver.
– Et pour combien de temps ces évangélistes ont-ils loué ce mur ?
Il a en effet l’espoir que tout cela ne durera plus très longtemps. Mais on lui répond qu’il s’agit d’un bail emphytéotique, c’est-à-dire d’une durée très longue, quelque chose comme 99 ans.
– Curieux, enrage Hans. Après tout, on sait depuis saint Paul que la fin est proche. Ces religieux ne croient-ils pas en leurs propres textes sacrés, qui donnent l’Apocalypse pour demain ?
La mairie, qui a d’autres chats à fouetter, raccroche.
Le lendemain, revenant fourbu du turbin, Hans est de nouveau accueilli par JÉSUS T’APPELLE ! Comme la nuit est tombée précocement – l’hiver approche -, le néon vert est allumé et tout cela clignote en lettres gigantesques. Hans a l’impression qu’on se moque de lui. Il voit rouge. Littéralement. Il commande quelques mètres de néon rubicond et, avec l’aide d’un copain bricoleur, il confectionne un signe gigantesque qu’il fixe sur la façade de son propre appartement. Le signe proclame : DIEU N’EXISTE PAS ! Les voyageurs qui sortent de la gare centrale ont maintenant sous les yeux deux thèses assez difficiles à concilier : en vert, JÉSUS T’APPELLE ! et en rouge, DIEU N’EXISTE PAS ! Faites vos jeux.
Les Néerlandais sont le peuple le plus démocratique du monde. Tu dis ceci, je dis le contraire, et alors ? Personne ne proteste et la vie est sur le point de reprendre son cours tranquille, après le coup de sang de l’ami Hans.
C’était compter sans les Marocains.
Les Marocains, c’est bien connu, aiment que les choses soient claires. Mille ans de makhzen, ça laisse des traces. Ceux d’entre eux qui lisent le néerlandais n’arrivent pas à comprendre que la ville, c’est-à-dire le makhzen hollandais, leur envoie par façades interposées un message aussi contradictoire. Du temps que seul JÉSUS T’APPELLE ! existait, on pouvait tolérer l’apostrophe. Jésus, c’est le prophète Issa, on l’aime bien, il est aussi un peu des nôtres. Mais que dit la façade voisine ? DIEU N’EXISTE PAS ? A’oudou billah ! Mais c’est un scandale !
Cette fois, ce n’est pas un Hans, mais cinquante Driss, Rachid et Mohamed qui appellent la mairie.
– À chaque fois qu’on sort de la gare, y a un néon rouge qui nous agresse !
La mairie essaie de raisonner :
– Les deux signes, le vert et le rouge, se compensent et s’annulent, non ?
– Non, répond Driss, rugit Rachid, marmonne Mohamed. Le vert voulait faire de nous des chrétiens. Le rouge veut faire de nous des athées. C’est donc que ça se dégrade ! La situation devient intolérable.
La mairie est très embêtée. D’un côté, il faut respecter la liberté d’expression, on ne peut pas exiger des évangélistes et de Hans qu’ils décrochent leurs slogans. Mais il ne faut pas non plus braquer les Marocains, qui sont prompts à s’énerver. Coup de génie de la mairie : elle offre une façade aux Marocains. À côté de en vert, JÉSUS T’APPELLE ! et en rouge, DIEU N’EXISTE PAS ! ils peuvent annoncer à la foule ébaubie tout ce qu’ils veulent.
On en est là. Les Marocains sont en train de réfléchir à leur slogan. Dans la fièvre des premiers jours, ils hésitaient entre LA ILLAHA ILLA LLAH ! et divers versets du Coran. Puis, s’étant calmés et se rendant compte qu’ils disposent d’une immense façade gratis pour 99 ans, quelques restaurateurs commencent à penser à MANGEZ MAROCAIN ! ou BUVEZ DU THÉ À LA MENTHE !
Je vous tiendrai au courant

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