Afrique du Sud : Jacob Zuma aux portes de la prison ?

L’ancien président sud-africain a été condamné à quinze mois de prison pour outrage à la justice. Conséquence d’un refus obsessionnel de se soumettre au système judiciaire, Jacob Zuma a demandé l’annulation de sa peine.

Jacob Zuma, le 25 mai 2021 à la Haute Cour, à Pietermaritzburg. © Phill Magakoe/AP/SIPA

Jacob Zuma, le 25 mai 2021 à la Haute Cour, à Pietermaritzburg. © Phill Magakoe/AP/SIPA

Publié le 2 juillet 2021 Lecture : 6 minutes.

« Vous imaginez Jacob Zuma en combinaison orange ? » Sur la radio 702, le présentateur voit déjà l’ancien président en tenue de prisonnier. Il est 11 heures passées, ce mardi matin, et la station vient de diffuser en direct ce qui est « l’un des événements les plus importants de l’année », selon l’animateur. Celui que l’on croyait insubmersible vient d’être condamné à quinze mois de prison ferme par la Cour constitutionnelle pour outrage à la justice. Du jamais vu dans l’histoire du pays.

Pour l’avoir suivi pendant près de vingt ans, la journaliste Karyn Maughan se dit « très familière à son refus pathologique de rendre des comptes ». Une obsession de plus en plus forte. « Il a complètement abandonné l’idée qu’il est de son devoir de rendre des comptes aux Sud-Africains. Qu’il est responsable des choix et des actes qui continuent d’avoir des effets dévastateurs sur la population. Il pense fermement que rien ne l’oblige à s’en expliquer », développe la chroniqueuse judiciaire.

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Stratégie d’évitement

Jacob Zuma, le 23 mai 2021 à la Haute Cour, à Pietermaritzburg. © Kim Ludbrook/AP/SIPA

Jacob Zuma, le 23 mai 2021 à la Haute Cour, à Pietermaritzburg. © Kim Ludbrook/AP/SIPA

L’ancien président (2009-2018) refuse catégoriquement de témoigner devant la commission anti-corruption Zondo. Une institution qu’il a pourtant mise en place en 2018, avant d’être contraint à la démission. Cerné par les soupçons de corruption, Jacob Zuma avait fini par lâcher les rênes du pouvoir, poussé vers la sortie par son parti, le Congrès national africain (ANC). Depuis lors, « il jouit de ses privilèges constitutionnels liés à sa fonction d’ancien président, comme sa pension et autres avantages payés par le contribuable, tout en refusant de se conformer à la Constitution », dénonçait avec acidité la commission Zondo en février.

Elle essaie – en son absence – de faire la lumière sur plus d’une décennie de corruption au cœur du pouvoir. Sa mission est consultative mais elle peut transmettre ses conclusions au parquet. Cité par 40 témoins, Jacob Zuma n’a pas daigné répondre aux accusations. Quand il accepte de se présenter, le 19 novembre 2020, c’est pour demander la récusation du juge Raymond Zondo qu’il accuse d’être biaisé. Une combine juridique dont il aime user. Elle lui permet de retarder ses procès et de diffamer les juges qu’il accuse d’être partiaux. Débouté ce jour de novembre, il quitte la séance en catimini lors de la pause café.

Tout sera mis en œuvre pour tenter de le faire revenir en douceur. Le secrétaire général de l’ANC, Elias Magashule – surnommé « Ace » – , l’adversaire Julius Malema et même le ministre de Police, Bheki Cele, parcourent les 600 km qui séparent Johannesburg de Nkandla pour essayer de lui faire changer d’avis. Suivront les citations à comparaître et les menaces de sanctions. Face à l’insubordination de Zuma, la Commission Zondo avait requis une peine de deux ans de prison, réduite à quinze mois par la Cour constitutionnelle.

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La Cour constitutionnelle a donné cinq jours à Jacob Zuma pour se livrer aux autorités. Si dimanche il ne s’est pas rendu à la police, les forces de l’ordre ont trois jours supplémentaires pour l’arrêter. Un délai qui interroge. « Si j’avais été reconnu coupable d’outrage à la justice, je suis certain que la police m’aurait arrêté sur le champ », s’étonne cet auditeur de la radio 702. À peine condamné, l’image d’un Jacob Zuma au-dessus des lois ressurgit aussitôt. Avant son coup d’éclat, la Cour constitutionnelle s’était illustrée en proposant à l’accusé de déterminer la sanction appropriée.

Veste bleue à carreaux et polo assorti, Jacob Zuma souri à l’objectif de l’appareil photo. « Le moral est toujours bon », écrit sur Twitter sa fille Dudu Zuma-Sambudla au lendemain de sa condamnation. Ce compte fonctionne comme une plateforme de soutien à son père. La fratrie Zuma – une vingtaine d’enfants – forme un bouclier autour du chef de famille. Devant sa résidence de Nkandla, Edward Zuma, l’un des fils, menace de faire barrage avec son corps si la police ose interpeller son père. « Ils devront d’abord me tuer », menace-t-il devant les journalistes.

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Nkandla, camp retranché

Des partisans de Jacob Zuma manifestent près de Nkandla, dans le KwaZulu Natal, le 1er juillet 2021. © /AP/SIPA

Des partisans de Jacob Zuma manifestent près de Nkandla, dans le KwaZulu Natal, le 1er juillet 2021. © /AP/SIPA

Le complexe résidentiel de Nkandla a pris des allures de camp retranché. Des hommes en treillis et bottes en cuir noir en gardent l’entrée. Quand la justice menace d’agir contre Zuma, ils rappliquent au pas militaire. Ce sont les vétérans de l’Umkhonto We Sizwe (MKMVA), la branche armée de l’ANC à l’époque où le parti luttait contre l’apartheid. Par fidélité à l‘ancien président, l’association d’anciens combattants s’est muée en milice pro-Zuma. « Nous ne voudrions pas le voir partir en prison et nous ferons tout notre possible pour empêcher que cela se produise », prévient Carl Niehaus, le porte parole des MKMVA.

Perdue dans la campagne zoulou, l’immense propriété de Nkandla symbolise aussi bien l’ancrage territorial de Zuma que ses dérives. L’ancien président avait utilisé 20 millions d’euros d’argent public pour effectuer des travaux présentés comme nécessaires à la sécurisation du domaine. Le bétail et la basse-cour avaient aussi gagné en sécurité grâce à l’installation d’un nouveau poulailler et des enclos. Mais c’est surtout la piscine et l’amphithéâtre qui ont fait scandale. L’affaire lui vaudra un vote de destitution à l’Assemblée nationale en 2016, mis en échec grâce au soutien de son parti.

Nkandla, dernière demeure avant incarcération ? Pas si vite. Ce vendredi 2 juillet, Jacob Zuma a demandé à la Cour constitutionnelle d’annuler sa décision, arguant notamment de son âge, mais interrogeant aussi la légitimité de la juridiction à se prononcer sur son dossier.

La fondation Zuma a indiqué étudier avec une équipe juridique les options qui s’offrent au « Patron ». Dudu Zuma-Sambudla a posté une photo en compagnie de son père en train d’annoter le jugement de la Cour à la recherche d’angles d’attaques. Sur le terrain, ses soutiens ont commencé à se réunir devant son portail et devraient affluer jusqu’à dimanche. Une muraille humaine dont les motivations sont claires : empêcher Zuma d’aller au centre correctionnel de Westville près de Durban.

« Je n’ai pas davantage peur d’aller en prison aujourd’hui que sous le régime d’apartheid », claironnait Zuma au mois de mars. Bravache, l’ancien militant rappelait son passé révolutionnaire. Il a été détenu dix ans dans le pénitencier de Robben Island pour conspiration entre 1963 et 1973. C’est sur l’île-prison qu’il a rencontré son camarade Nelson Mandela. S’il devait se rendre aux autorités d’ici dimanche, c’est toute cette symbolique qu’il emporterait avec lui.

Attention à ne pas accorder trop d’importance à cet événement, enjoint le politologue Ralph Mathekga. Quinze mois de prison – probablement moins dans les faits – « ce n’est pas grand chose par rapport à ce qui l’attend. Il sait bien qu’un jour il finira en prison » prédit l’analyste. Jacob Zuma est notamment poursuivi dans l’affaire des contrats d’armements aux côtés de Thalès. Il lui est reproché d’avoir été couvert de pots-de-vin par l’industriel français pour protéger son contrat d’éventuelles poursuites dans les années 1990. À peine ouvert le 26 mai, le procès a dû être reporté. Encore une fois, Zuma demande la récusation du procureur Billy Downer jugé incompétent.

Dans son jugement mardi, la Cour constitutionnelle dénonçait les « efforts calculés de M. Zuma pour saper la confiance du public dans le judiciaire. Si son comportement n’est pas sanctionné, il fera beaucoup de mal à l’État de droit », écrit la juge Sisi Khampepe. Cette hargne exprimée publiquement contre la justice est « un calcul politique, un risque qu’il prend en sachant d’avance qu’il sera sanctionné », résume Ralph Mathekga. Et d’ajouter, « pour lui, c’est le bon moment de savoir si les batailles qu’il perd devant les tribunaux le renforcent dans la rue ».

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