Me Emmanuel Altit

Avocat des cinq infirmières bulgares condamnées à mort par la justice libyenne

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien ont été arrêtés en février 1999, en Libye. Reconnus coupables d’avoir inoculé le virus du sida à 426 enfants, dont 50 sont morts depuis, à l’hôpital de Benghazi, ils ont été condamnés à mort le 6 mai 2004. À la fin de cette même année, Emmanuel Altit, un pénaliste français qui travaille pour les Nations unies et l’Union européenne, constitue une équipe d’avocats bénévoles soutenue par Avocats sans frontières. Une procédure est engagée contre les policiers qui ont reconnu avoir torturé les infirmières pour obtenir les aveux sur la base desquels celles-ci ont été condamnées Privé de visa, Me Altit ne peut assister au procès, en mai 2005, et, le 7 juin, les policiers sont relaxés. Le 25 décembre, la Cour suprême annule la condamnation à mort et ordonne qu’un nouveau procès ait lieu devant la cour pénale de Benghazi.

Jeune Afrique : Quand le procès va-t-il reprendre ?
Me Emmanuel Altit : Peut-être dans les prochains jours, mais ce ne sera qu’une première audience. Le dossier va devoir être instruit à nouveau avant d’être rejugé. Cela prendra du temps.
En attendant, les infirmières restent incarcérées
Le 7 février, pour le septième anniversaire de leur emprisonnement, nous avons organisé une manifestation à Paris pour demander leur mise en liberté provisoire. Elles sont quand même présumées innocentes ! Elles devraient être libres pour des raisons juridiques, des irrégularités ayant été reconnues par la Cour suprême (tortures, fabrication de preuves), ou, à tout le moins, pour des raisons humanitaires.
Quand les avez-vous vues pour la dernière fois ?
À la fin du mois de février. Elles sont très atteintes psychologiquement et physiquement. Elles sont conscientes des enjeux de cette affaire, mais ont du mal à maîtriser la réalité des rapports de force. C’est une situation politico-judiciaire très compliquée.
Quelle est votre stratégie ?
La stratégie purement judiciaire ayant montré ses limites, j’ai décidé de mettre en place une stratégie globale, à la fois judiciaire, médiatique, politique et diplomatique. Ce qui permet de réduire la marge de manuvre des Libyens et de leur faire savoir que tout n’est pas possible. Tout ce qui relève de la morale n’est pas négociable.
Vous n’avez plus de problèmes de visa ?
Au fond, en mai 2005, il était plus intéressant pour moi de ne pouvoir me rendre en Libye. J’ai évité d’être un alibi, j’ai obtenu la preuve de l’implication des autorités politiques dans cette affaire et la preuve que les droits de la défense avaient été violés puisque je n’ai pas eu accès au dossier et que je n’ai pas pu rencontrer mes clientes. Aujourd’hui, la situation a changé
Créer un Fonds d’indemnisation européen pour les familles des victimes, n’est-ce pas reconnaître de facto la culpabilité des infirmières ?
Les Libyens réclament 10 millions de dollars par famille de victimes et il y a 450 familles ! Le 23 décembre, un Fonds d’indemnisation a été créé sous l’égide de l’Union européenne, de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la Bulgarie et de la Libye. Deux jours plus tard, la condamnation à mort des infirmières a été annulée. Comment ne pas y voir un rapport de cause à effet ? Si l’Union européenne veut suppléer les carences des autorités libyennes, c’est son affaire. Mais nous ne transigeons pas avec l’innocence des infirmières et n’avons pas l’intention de nous aventurer sur le terrain mouvant des compromis.
Quel scénario envisagez-vous pour la suite ?
Le président de la cour de Benghazi va instruire à nouveau le dossier. Pendant ce temps, le Fonds va commencer à verser un peu d’argent aux familles. Si celles-ci s’estiment justement indemnisées, elles peuvent, en vertu de la charia, renoncer à demander une condamnation à mort. On peut imaginer une condamnation à perpétuité, avec, ensuite, la possibilité de purger cette peine en Bulgarie. Mais ce scénario postule la reconnaissance de la culpabilité des infirmières.
N’est-il pas trop tard pour faire reconnaître leur innocence ?
On intervient six ans trop tard. À présent, tout le monde a intérêt à trouver une solution sur leur dos. Le maître mot de cette affaire, c’est l’irresponsabilité. En s’asseyant sur le droit des infirmières, mais aussi sur celui des victimes, les autorités libyennes fuient leur responsabilité. Ce qui revient à mépriser les unes et les autres.

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