Les dessous d’un limogeage

Le Premier ministre Cellou Dalein Diallo a été démis de ses fonctions le 5 avril pour « faute grave », après quarante-huit heures de cafouillages au sommet de l’État.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

Nommé le 9 décembre 2004, Cellou Dalein Diallo laissera dans l’histoire de la Guinée l’image d’un Premier ministre qui fut toujours bridé, humilié, avant d’être limogé sans préavis. Et qui apprend, le 5 avril, sur les ondes de la radio nationale qu’il est démis de ses fonctions « pour faute lourde ». Tout commence vingt-quatre heures plus tôt quand, à la fin de son journal de 19 h 45, Radio-Guinée lit un décret qui remanie profondément le gouvernement. Taillée sur mesure, la nouvelle équipe reflète la volonté de Cellou Dalein Diallo. Lequel reste Premier ministre et récupère les portefeuilles de l’Économie, des Finances et du Plan.
Tous ses proches sont également maintenus à leurs postes (Fatoumata Kaba Sidibé aux Affaires étrangères ; Ahmed Tidjane Souaré aux Mines et Géologie) ou affectés à d’autres (Hadja Aïssatou Bella Diallo passe de l’Information aux Affaires sociales, Promotion féminine et Enfance ; Hadja Fatoumata Binta Diallo, de l’Hydraulique et Énergie à la Pêche et Aquaculture). D’autres, des nouveaux, les rejoignent : le journaliste Tibou Kamara (au ministère de l’Information et de la Culture) ; Mamadou Banoh Sow (aux Travaux publics), Malick Sankon (Tourisme et Hôtellerie)…
Tous ses adversaires sont en revanche limogés : le ministre des Postes et Télécommunications, Jean-Claude Sultan, qui lui a tenu tête en 2005 sur le dossier de la mise en vente de la quatrième licence de téléphonie cellulaire, et Kémo Charles Zogbélémou, patron du Contrôle économique, coupable, en décembre 2005, d’avoir rendu un rapport qui blanchit l’homme d’affaires Elhadji Mamadou Sylla, accusé d’avoir frauduleusement soustrait 36 millions d’euros des caisses de la Banque centrale.
La nouvelle cuvée traduit la nette victoire du Premier ministre sur ses rivaux de l’entourage du chef de l’État ?coachés par le secrétaire général à la présidence, Fodé Bangoura. Et laisse les coudées franches à Cellou Dalein Diallo, dont relève désormais le récalcitrant grand argentier du pays, Madikaba Camara, devenu simple ministre délégué.
Lansana Conté somnole dans sa voiture, lorsque son chauffeur le réveille dès la lecture de la première phrase du décret. Comme sonné par ce qu’il entend, le chef de l’État demande qu’on le mette immédiatement en contact téléphonique avec le Premier ministre ainsi qu’avec Fodé Bangoura. Les deux hommes sont convoqués illico presto au « Petit Palais », siège de la présidence. Pour les faire rappliquer immédiatement, Conté envoie à chacun un motard. Les voilà tous les trois à huis clos dans son bureau. Il est environ 20 h 30. Le chef de l’État s’en prend violemment à Cellou Dalein Diallo, lui reproche de l’avoir « trompé », et demande que le décret portant remaniement ministériel soit purement et simplement annulé. Il charge Fodé Bangoura de lui soumettre, dès le lendemain matin, un nouveau texte qui maintient le gouvernement sortant en place.
Un peu plus tard dans la soirée, les amis et sympathisants se succèdent chez le Premier ministre, sur la corniche de Dixinn, pour le féliciter. Pendant ce temps, son voisin, Fodé Bangoura, s’affaire au téléphone, appelle tous les débarqués pour les informer qu’ils restent en fonction. Y compris ceux qui, comme la ministre du Commerce, Djéné Saran Camara, séjournent à l’étranger. Bangoura joint également Africable, la chaîne de télévision ouest-africaine basée à Bamako, demande à ses dirigeants de ne pas diffuser la partie du journal télévisé guinéen relative au remaniement ministériel.
À 22 heures, il envoie des « Bérets rouges » (éléments de la garde rapprochée du chef de l’État) interrompre brutalement la lecture de la liste du nouveau gouvernement. Alors que la bande arrive au nom de Sékou Ping Pong Condé, le ministre de la Jeunesse et des Sports, elle est arrachée par les hommes en armes qui investissent les locaux de la Radiotélévision guinéenne (RTG).
Dès l’aube du lendemain, 5 avril, Bangoura rédige le décret d’annulation. Mais se heurte à un léger problème : Conté se tire difficilement du lit le matin, et nul ne peut le déranger. D’autres proches du chef de l’État entrent en jeu. L’homme d’affaires Elhadji Mamadou Sylla, le marabout Elhadji Ibrahima Diaby, la « madame Communication » Chantal Colle, des ministres limogés comme Jean-Claude Sultan se rencontrent dès 8 heures chez Hadja Kadiatou Seth Conté, à la Cité ministérielle, où a dormi le président. Ils le tirent du lit, l’emmènent au « Petit Palais » vers 9 heures. Une heure plus tard, c’est Fodé Bangoura lui-même qui se rend à la RTG, remet en main propre au directeur de la radio le nouveau décret rétablissant l’ancien gouvernement. Il est rendu public aux environs de 10 h 30.
Le Premier ministre quitte aussitôt la primature, se rend précipitamment au « Petit Palais » situé à cinq minutes de marche, mais ne réussit pas à voir le chef de l’État. Il est bloqué à la porte par les « Bérets rouges », instruits par Fodé Bangoura de ne pas le laisser entrer. Conté est complètement isolé et « cuisiné » par les adversaires de Cellou Dalein Diallo, rejoints par Aboubacar Somparé, président de l’Assemblée nationale et ennemi déclaré du Premier ministre. Ils tiennent conclave. À 13 h 10, la radio lit un deuxième décret qui limoge Diallo « pour faute lourde ».
Ce n’est pas tout : les « anti-Cellou » de l’entourage présidentiel font signer en début de soirée un autre décret qui débarque le directeur du Port autonome de Conakry, Almamy Kabélé Camara. Motif ? Il est proche du désormais ex-Premier ministre au point de s’être taillé la part belle dans le gouvernement mort-né : le poste de ministre de l’Administration du territoire, de la Décentralisation et de la Sécurité.
À 22 heures, un Conseil interministériel extraordinaire se réunit à la présidence jusque très tard dans la nuit. Sous la présidence de Fodé Bangoura, les membres du gouvernement planchent sur la suite à donner à la « faute lourde » de Cellou Dalein Diallo. Va-t-il être poursuivi pour « falsification de documents administratifs, recel, faux et usage de faux » ? Après deux journées de guérilla au sommet, un constat s’impose : il est difficile de faire mieux dans la pagaille institutionnelle que Conté et son entourage. Ou pour ridiculiser ce qui reste de l’État guinéen. Le chef de l’État, qui a bel et bien signé le décret du 4 avril, brandit à ses proches un argument : il n’aurait demandé à Cellou Dalein Diallo que de remplacer les cinq ministres qui ont accédé à l’âge de la retraite à la date du 1er janvier 2006. Peut-il se dédouaner aussi simplement ? A-t-il apposé sa signature sur le décret sans l’avoir lu ?
En réalité, diminué par une maladie qui l’a contraint à un séjour médical en Suisse (du 18 au 24 mars), Conté n’est plus dans les dispositions de gouverner son pays. En proie à de récurrents comas diabétiques responsables de troubles répétés de la mémoire, ce dernier connaît de longs moments de faiblesse qui le coupent totalement de la réalité. Jusqu’à quand ses proches prolongeront-ils artificiellement sa vie politique ? Quand s’arrêtera la situation de non-État qui ridiculise la Guinée chaque jour davantage et l’enfonce dans la misère ?
Questions sans intérêt pour les proches de Fodé Bangoura, jadis aux prises avec le camp de Cellou Dalein Diallo, qui savourent aujourd’hui leur victoire. Le limogeage du Premier ministre renforce le secrétaire général à la présidence, désormais détenteur de la réalité du pouvoir. Ce qui n’est pas sans importance dans la course à la succession engagée depuis plusieurs mois.

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