La reine Pokou et l’ivoirité

Un des mythes fondateurs de la Côte d’Ivoire relu à la lumière des soubresauts politiques que connaît le pays depuis plusieurs années.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 2 minutes.

Alors que l’auteure ivoirienne Véronique Tadjo s’est vu remettre lors du Salon du livre de Paris (17-22 mars) le Grand prix littéraire d’Afrique noire que lui avait attribué en novembre 2005 l’Adelf (Association des écrivains de langue française) pour l’ensemble de son uvre, son livre sur le génocide au Rwanda, L’Ombre d’Imana (Actes Sud, 2000), est publié dans huit pays africains grâce à un partenariat conclu sous les auspices de l’Alliance des éditeurs indépendants. Parallèlement, Actes Sud réédite son dernier roman, Reine Pokou. Ce petit ouvrage prend pour thème l’histoire d’un des mythes fondateurs de la Côte d’Ivoire et en offre des variations subtiles, inspirées par les soubresauts politiques que connaît le pays depuis trois ans.
L’histoire est évocatrice : Abraha Pokou et son peuple sont contraints de quitter la terre de leurs ancêtres, au royaume ashanti – l’actuel Ghana -, à la suite d’une rivalité dans la succession au trône qui a dégénéré en guerre. Lorsqu’ils parviennent au bord du fleuve Comoë, la reine comprend que seul le sacrifice de son fils unique, né miraculeusement sur le tard, permettra aux siens de passer à gué. « Ba-ou-li » signifie « l’enfant est mort », d’où est dérivé le nom du peuple « Baoulé ».
« Relire ce mythe à la lumière du concept d’ivoirité permet de remettre les choses à leur place, explique Véronique Tadjo. En réalité, les Baoulés qui se proclament Ivoiriens de souche viennent d’ailleurs, comme les Dioulas et les autres. Nous devons accepter notre diversité. » Résidant actuellement en Afrique du Sud, à Johannesburg, l’écrivaine se sent frustrée de ne pouvoir participer de façon quotidienne au débat qui agite son pays. Elle a trouvé ici une façon indirecte de reposer la question de fond sur l’origine des Ivoiriens. Sa réflexion va même plus loin, puisqu’elle pose aussi le problème du rapport de l’individu avec le pouvoir. « Comment une femme parvient-elle à sacrifier son enfant ? Pokou a souffert de stérilité, un mal terrible et humiliant en Afrique, et on lui demande de jeter son petit dans l’eau du fleuve. Ce devrait être inacceptable »
La reine Pokou de Véronique Tadjo a plusieurs visages : d’abord, celui d’une madone éplorée, qui s’incline devant l’exigence collective et divine, puis celui d’une amazone, conquérante et héroïque, enfin celui d’une femme politique prête à tout. « Je voulais montrer que le pouvoir n’est pas statique. Nous avons des héros, mais il faut savoir analyser leurs actions et découvrir quelle est leur nature profonde », commente l’écrivain.
Reste, pour le lecteur attentif, à approfondir les analogies – apparentes ou cryptées – du mythe avec certains épisodes de la Bible : le sacrifice de l’enfant, les eaux qui s’écartent pour laisser passer l’exode, jusqu’au prénom de la reine, lourd de signification. Un petit livre riche, dense, passionnant.

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