Serge Crozon, doublure d’Omar Sy mais pas seulement !
Sur les tournages du « Flic de Belleville », de « James Bond » ou de « Mortal Kombat », ce cascadeur français élevé à Bangui prend tous les risques. Sans jamais oublier ses racines centrafricaines…
Entre la première fois où, en 1984, à l’âge de 14 ans, Serge Crozon a tapé dans un sac de frappe, et ce jour de juin où il nous accueille dans son dojo de Longjumeau, il aura joué dans de nombreuses superproductions hollywoodiennes comme 300, Casino Royale ou encore Danny the Dog. Parallèlement, ce Français d’origine centrafricaine d’1m84 a eu pour mission de doubler l’acteur Omar Sy dans Chocolat, Le Flic de Belleville ou encore Samba. Il est aujourd’hui doublure officielle de la star d’Intouchables, mais désacralise avec humilité cette fonction qui l‘a mis sur le devant de la scène : « C’est un travail comme un autre. »
Serge Crozon commence à rêver de ce métier en écumant les cinémas du quartier parisien de Barbès. C’est là qu’il découvre la virtuosité et l’élégance au combat de Bruce Lee. Et que naît sa vocation. Tandis que sa mère le pousse sur cette voie pour qu’il « sache se défendre », lui « fait des arts martiaux dans le but de faire du cinéma » et croit en sa bonne étoile. Il a la vision, le destin récompensera le battant qu’il est.
James Bond et samouraïs
C’est le Vovinam Viet Vo Dao, discipline dont il a été champion du monde en 2002, qui va lancer sa carrière de cascadeur. Un jour qu’il enseigne son savoir-faire à des élèves, l’un d’eux arrive en retard, et interrompt la séance. Motif : le jeune homme passait un casting. Après l’avoir sermonné, Serge lui demande l’adresse de l’audition et court vers sa fortune. Nous sommes en 2001. Il ne le sait pas encore, mais il vient d’entamer une nouvelle carrière. En 2003, il se retrouve sur le tournage du film d’action français Samouraïs aux côtés d’Omar Sy, mais les deux hommes ne sont pas amenés à échanger. Ce n’est que partie remise.
J’étais le cascadeur dont le profil physique se rapprochait le plus d’Omar Sy
Trois ans plus tard, Crozon travaille aux côtés de la star hollywoodienne Pénélope Cruz et, enchaînant les rôles de doublure et de cascadeur, se fait progressivement un nom dans le métier. Puis en 2011, il recroise Omar Sy, à l’affiche de L’autre côté du périph. Là encore, une histoire de chance qui se provoque. Modeste, Crozon explique : « Parmi les cascadeurs noirs français, j’étais celui dont le profil physique se rapprochait le plus de lui ». Il devient alors la doublure officielle de celui qui occupe la deuxième place du classement des personnalités préférées des Français, dont il parle en termes mesurés : un comédien « facile à doubler » et qui « retient vite les chorégraphies ».
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Travail, abnégation et persévérance sont les maîtres-mots de ce père de quatre enfants. Sa carrière en témoigne : une scène achevée avec un genou cassé et une rupture des ligaments croisés lors du tournage du James Bond Casino Royale, avec Daniel Craig ; un combat en apnée à 5 mètres de profondeur alors qu’il n’aime pas nager dans Le Flic de Belleville ; une scène dans l’eau saumâtre du canal Saint-Martin entouré de rats, en plein mois de novembre, à 5 heures du matin, pour le film à succès Samba…
Sous Bokassa et Bozizé
Né dans l’Hexagone mais ayant passé son enfance à Bangui, le cascadeur a gardé des liens étroits avec sa patrie d’origine. Dès 1995, les autorités locales le sollicitent pour des stages et des exhibitions : « Quand j’ai gagné la Coupe d’Europe, j’ai reçu une invitation officielle. Mais je n’avais pas pu l’honorer à cause des troubles qu’il y avait à l’époque ». Des violences qui ont conduit sa défunte mère Clémentine Crozon-Cazin à créer l’association Bangui sans frontières (BSF), afin de venir en aide à la population centrafricaine. Victime de son succès, l’organisme disposait de locaux trop petits pour recevoir les afflux de dons – « les écoles et les cliniques se débarrassaient de leurs surplus ». Étonnamment, les membres de la diaspora centrafricaine ne comptaient pas parmi les plus généreux donateurs. « Ils étaient davantage intéressés par ce qu’il se passait dans les bureaux », dit-il. Sous-entendu : les gratifications matérielles afférentes à la gestion d’une association les attiraient plus que l’association elle-même.
Son père était directeur général de la police sous Bokassa, sa mère connaissait personnellement Bozizé
Après le décès de sa mère, en février 2013, Serge perpétue le combat familial. Avec son frère et sa femme, il s’active : « Nous avons fait des dons de vêtements, avec notre argent personnel, et pas seulement en Centrafrique ! Pas besoin d’être riche pour donner. Et ça, je pense que je le tiens de ma mère. Elle avait sept enfants, mais à la maison, nous étions toujours une vingtaine car la famille entière aimait passer du temps en sa présence ».
L’enfant de Bangui n’élude pas la question du sentiment anti-français, en vogue en Centrafrique depuis une dizaine d’années. « En 60 ans d’indépendance, certaines choses n’ont pas évolué. Si une partie de la population estime qu’il vaut mieux se tourner vers la Russie, c’est un choix libre. Il s’agit davantage d’une volonté de sortir de la crise plutôt que d’une rancœur à l’égard de l’ancienne puissance coloniale ».
Il faut dire que l’artiste connaît son pays, même s’il n’y a vécu qu’une dizaine d’années et est rentré en France au début des années 1980. Son père, Philippe, était directeur général de la police centrafricaine sous la présidence de Jean-Bedel Bokassa. Quant à Clémentine Crozon-Cazin, elle connaissait personnellement François Bozizé. Elle a sollicité, en vain, son aide afin que son association soit exonérée de taxes douanières. Aujourd’hui encore, le mystère reste entier à propos de ce refus. Mais après la chute de Bozizé, l’association s’est adaptée : « Ma sœur a pris le relais. Et les gens du bureau Bangui ont trouvé des plans B ».
Fier de ses origines
Serge n’a pas revu son pays d’origine, en proie à des difficultés sociales et économiques, depuis de longues années. « Ce n’est pas l’envie qui me manque. J’en ai la possibilité, mais à chaque fois, y a un truc qui capote », confie-t-il. À n’en pas douter, il franchira cet obstacle, comme il l’a toujours fait tout au long de sa carrière. En attendant, il suit avec attention l’actualité centrafricaine grâce à un cousin travaillant au sein du service de communication du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, et un frère qui se rend régulièrement sur place. Optimiste pour la destinée du pays – « l’espoir fait vivre » –, il trouve que la situation s’améliore sensiblement : « Bangui est désormais sécurisée. C’est bien mieux qu’il y a deux ans, quand il était impossible d’aller à Bambari, cinquième ville du pays, tenue par les miliciens ».
Serge Crozon est fier de ses origines. Mais « la grande famille » du cinéma français se montre quelque peu réticente à les inclure. Il s’en était publiquement ému, en 2016, en pointant la difficulté pour un comédien noir de se ménager une place en son sein. Cinq ans plus tard, statu quo : « Ça n’a pas beaucoup changé, de ce point de vue. Mon dernier rôle était celui d’un narco dans Juste Ciel, un film avec Valérie Bonneton ».
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Il s’est en revanche taillé une solide réputation à l’international : en 2017, il était à l’affiche de Vivegam, une superproduction indienne aux 13 millions de dollars de budget et il est aujourd’hui le seul cascadeur français parmi la cinquantaine que compte le casting de Mortal Kombat, une production hollywoodienne à 55 millions de dollars. Il a « encore le potentiel physique pour faire des actions de haut niveau », confiait-il à l’AFP en mai dernier. « Mais j’aimerais les faire pour moi, à mon compte ».
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